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Celui qui tombe, Yoann Bourgeois

Par Wilson Le Personnic

Publié le 24 juin 2015

À la croisée du cirque et de la danse, chaque spectacle de Yoann Bourgeois met en lumière un rapport sous tension entre les interprètes et le dispositif scénique qu’ils activent. Dans L’art de la fugue (2011), deux interprètes évoluaient dans une gigantesque structure en bois qui se transformait au grès du spectacle en habitat clairsemé d’interstices, d’escaliers et de surfaces instables dont l’architecture était empruntée à la petite forme Cavale, créée une année auparavant. Dans l’hybride Minuit « Tentatives d’approches d’une point de suspension » (2014), Marie Fonte, harnachée à une balance de levité, voltigeait au dessus des spectateurs et Mathurin Bolze se démenait dans une grande roue de hamster à taille humaine. Autant de jeux de vertige et de gravité que Yoann Bourgeois use avec aussi bien d’habileté que d’ingéniosité.

Dans sa nouvelle création intitulée Celui qui tombe, l’artiste continue d’exploiter le potentiel entre le décor et les interprètes qui l’habitent. Ici, six danseurs sont face à une épaisse plateforme de bois, grand radeau de plusieurs tonnes aux humeurs changeantes. Cette impressionnante structure est un mini terrain de jeu instable, aussi imprévisible que dangereux, sur lequel les interprètes jouent et semble découvrir, en même temps que nous, les particularités physiques de ce grand monstre de bois. À plusieurs mètres du sol, ce petit groupe est balloté au grès du déhanchement mécanique : accroché par des câbles à chaque extrémité ou encastré dans un support qui lui donne l’air d’un vinyle géant sur un tourne disque survolté, ce fascinant dispositif offre à chaque transformation l’occasion de redéfinir la relation entre les interprètes et la surface qu’ils foulent avec une extreme dextérité.

L’horizon s’incline de quelques degrés, les corps parviennent à peine à se stabiliser qu’une nouvelle complication apparait : cette machine infernale et inépuisable ne laisse jamais présager ses réactions face aux déplacements des danseurs. Au centre de la recherche de Yoann Bourgeois, la gravité du corps trouve sa beauté dans l’instant précaire où celui-ci est traversé par une force qu’il domine. Nous restons fascinés tout le long du spectacle par l’extrême agilité des danseurs face aux situations périlleuses qu’ils traversent : ils appréhendent chaque nouveau changement, tentent de trouver le point d’équilibre pour survivre sur ce micro espace et cohabitent avec la présence, la force et le poids de chacun. On ne peut que saluer la ténacité de ce groupe aussi virtuose que plein d’ardeur.

Vu au Théâtre de la Ville. Conception, mise en scène et scénographie Yoann Bourgeois. Avec Mathieu Bleton, Julien Cramillet, Marie Fonte, Dimitri Jourde, Elise Legros, Vania Vaneau. Lumières Adèle Grépinet. Son Antoine Garry. Réalisation scénographie Nicholas von der Borch, Nicolas Picot, Pierre Robelin. Photo de Géraldine Aresteanu.