Photo © Wendy D Photography

Betroffenheit, Crystal Pite / Kidd Pivot, Jonathon Young / Electric Company Theatre

Par François Maurisse & Wilson Le Personnic

Publié le 30 mai 2017

Remarquée en début de saison dernière avec sa création The Seasons’ Canon pour le Ballet de l’Opéra de Paris (qui fera son retour au printemps 2018 sur la scène du Palais Garnier), la danseuse et chorégraphe canadienne Crystal Pite est aujourd’hui l’une des figures majeure de la scène chorégraphique nord-américaine. Au départ interprète au Ballet British Columbia à Vancouvert puis au Ballet de Francfort sous la direction de William Forsythe, elle signe son propre travail à partir des années 90. Ses pièces sont au répertoire des plus grandes compagnies de danse (dont le Ballet Cullberg, le Cedar Lake Contemporary Ballet, l’Alberta Ballet, le Ballet National du Canada, etc) et elle est aujourd’hui artiste associée au Nederlands Dans Theater au Pays-Bas, au Centre national des arts du Canada et au Sadler’s Wells à Londres.

Fruit d’une collaboration entre sa compagnie de danse Kidd Pivot et le comédien et dramaturge Jonathan Young (fondateur d’Electric Company Theatre), la pièce Betroffenheit fait dialoguer les spécificités du théâtre et de la danse au sein d’une mise en scène burlesque et onirique. Créé à Toronto au Canada en juillet 2015, Betroffenheit est aujourd’hui présenté à Paris au Théâtre de la Colline jusqu’au 2 juin, en partenariat avec le Théâtre de la Ville. Betroffenheit tire sa genèse dans le drame personnel de Jonathan Young : il a perdu des membres de sa famille dans un incendie il y a quelques années. On y découvre le comédien, seul dans un décor délabré et mal éclairé, en proie à ses propres démons et ses délires.

Comme une projection de son espace mental, ce lieu est traversé par des figures burlesques et inquiétantes : des personnages clownesques, des danseurs de cabaret, les présentateurs d’une émission de télévision désuète, des scènes éclatées comme échapées d’un cauchemars sous acide. C’est un dialogue intérieur qui se construit peu à peu, le personnage principal croulant sous le poids du décor, qui peu à peu s’anime autour de lui. Il répond à ce qui semble être sa propre voix enregistrée, interagissant avec les fantômes qui le hantent : c’est la capacité de résilience du personnage, et avec elle celle du comédien, qui est ici interrogée. 

Dans la deuxième partie du spectacle, cette atmosphère sordide laisse place à une ambiance plus onirique. Exit le décors naturaliste et hostile, on retrouve le plateau vide baignant dans un brouillard léger, au centre duquel est érigée une colonne dont le sommet est hors de notre vue. Dans ces limbes, c’est alors un travail plus franchement chorégraphique qui se développe. Les cinq danseurs qui hantaient Young dans la première partie nous livrent une partition chorégraphique précise et virtuose, dont la fluidité n’a d’égale que l’expressivité du geste. Egrainant duos, trios, solos, ils sont finalement rejoint par le comédien, qui semble tendre vers un apaisement salvateur au fur et à mesure que l’écriture se fait plus tendre, plus ample, moins torturée. Cette mise en scène, réussissant finalement le pari du mariage entre un texte théâtral et une écriture chorégraphique assume une beauté tragique, à la fois thérapeutique et rassérénante.

Vu à La Colline – Théâtre national (Théâtre de la Ville hors les murs) Chorégraphie et direction Crystal Pite – compagnie Kidd Pivot & Electric Company Theatre. Photo © Wendy D Photography.