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Benjamin Walter, Frederic Sonntag

Par Colyne Morange

Publié le 6 mars 2017

Avec Benjamin Walter, Frédéric Sonntag nous livre le deuxième volet de son triptyque autour de l’identité, sur les traces d’un personnage absent. Il relève ici le défi du road trip théâtral, entre autofiction et réalité.

Il est question d’un auteur disparu – Benjamin Walter – et d’un metteur en scène un peu perdu – Frederic – qui, ne parvenant à monter la production de son prochain spectacle – voire même à trouver son sujet – se lance à la recherche cet auteur mystérieux, abandonnant sa troupe quelques jours avant le début des répétitions, l’invitant à commencer sans lui. Progressivement, cette quête va se transformer en voyage, puis en errance à travers l’Europe, sur les traces de ce grand artiste qui a décidé d’ « arrêter d’écrire ».

C’est avec une grande agilité que Sonntag, ses comédiens et musiciens nous racontent cette histoire, entrelaçant habilement les intrigues et les temporalités. Une construction dramaturgique et scénique très cinématographique, où fantasme, réalité et fiction cohabitent. En parallèle à l’errance solitaire du metteur en scène, qui accumule les chambres d’hotel, les rencontres et les traces laissées par Benjamin Walter, on assiste à l’errance artistique de son équipe en salle de répétition. Et en négatif, le portrait de l’auteur disparu se construit, à coup de témoignages, d’écrits laissés ici et là – notamment un journal de bord – indices qui vont petit à petit devenir des « signes » pour Frédéric. Une trame dramatique complexe soutenue par une scénographie mouvante, où les images scéniques et les situations se font écho : un cauchemar de Frederic dans un train se transforme en improvisation des comédiens en répétition ; un bureau de douane devient, grâce à un brusque changement lumineux, un bureau de production parisien. Images en miroir, phrases et répliques répétées, des procédés familiers, mais efficaces et bien ficelés.

La vidéo intervient également, sous plusieurs formes, jouant le « documentaire », et apportant un goût de réalité à la fiction : témoignages d’inconnus qui ont rencontré Walter, photographies prises par Frédéric, relatant les étapes de son parcours…

Fidèle à ses habitudes, Sonntag place la musique live au coeur de son esthétique scénique. De longs riffs de guitare accompagnent les passages narratifs au micro. Des mélodies post-rock, des guitares électriques, claviers, des mélodies mélancoliques fredonnées pendant que les comédiens, jouant leurs propres rôles, débattent sur un concept de pièce possible, ou tandis que Frédéric découvre une énième relique de Walter, de l’autre côté de l’Europe. Des astuces scéniques et ambiances musicales qui évoquent bien des spectacles vus récemment – notamment lorsqu’à certaines scènes assez « théâtrales » succèdent brutalement des narrations chorales, interprètes en ligne à l’avant scène, face public, sur de jolies nappes électriques. On y perçoit également des réminiscences de la vague belge des années 2000, quand l’un des comédiens s’adonne à une chorégraphie flottante tandis que les autres boivent des bières et se fâchent et jouent au quotidien.

En ce qui concerne les influences, pas de doutes, la pièce foisonne de références littéraires. Sont cités à tors et à travers Bolano, Kafka, Baudelaire, Walter Benjamin, Brecht, constellation d’auteurs et penseurs pour lesquels Sonntag ne cache pas son admiration. On pourrait même penser qu’il cherche, à travers son personnage d’auteur disparu, à trouver une place dans cette lignée, revendiquer une filiation vis à vis de ses pères littéraires.

Il n’en reste pas moins que la pièce a beau être bien ficelée, elle a une tendance relativement bavarde. À la question de la recherche d’identité se substitue une interrogation sur l’acte artistique, son procédé, son sens – interrogation largement appuyée lors des séquences très « méta », où la troupe cherche comment représenter la quête de son metteur en scène, et se demande d’où partir, comment raconter, quel intérêt ? Et la pièce bascule ensuite dans l’historico-politique à mesure que Frederic s’enfonce dans l’Europe de l’Est. Elle s’achèvera en un pamphlet à la limite du pédagogique, où sont listées toutes les bibliothèques disparues, brûlées ou détruites par les régimes totalitaires successifs. La volonté de faire se rencontrer petite et grande histoire est belle et ambitieuse. Mais peut-être la pièce cherche-t-elle un peu trop à donner des réponses aux spectateurs…

Il y a certes un décalage entre ce goût revendiqué pour l’errance, et l’ultra maitrise qui se dégage du spectacle, de la structure du texte à la mise en scène, jusqu’au jeu des acteurs. Tout semble précisément orchestré, agencé. La pièce, finalement, n’erre pas beaucoup. Sonntag semble vouloir nous adresser un message : nous inviter à suivre cette démarche, suivre les traces d’un Benjamin Walter à notre tour – «se perdre, ce serait pour mieux se trouver » ? s’éclame naïvement un des protagonistes ; ou peut-être pour trouver un rôle à jouer dans l’Histoire ? Ou juste pour avoir une histoire à raconter? Quoi qu’il en soit, le sujet est assez récurrent en ces temps de grisaille politique et économique, et Frederic Sonntag, témoin de son temps, n’est pas le seul à nous y pousser.

Vu au Théâtre de la Cité internationale. Texte et mise en scène Frédéric Sonntag. Création vidéo Thomas Rathier. Création musicale Paul Levis. Photo © Gaelic.