Photo Ana Pi © Pierre Ricci

Le tour du monde des danses urbaines en dix villes

Par Céline Gauthier

Publié le 2 mars 2017

La compagnie Vlojajob Pru (Cecilia Bengolea et François Chaignaud, ici avec Ana Pi) signe un monumental Tour du monde chorégraphique, à même le bitume des trottoirs de nos villes. Dix d’entre elles jalonnent le parcours d’une conférence dansée qui retrace en un peu plus d’une heure l’histoire sinueuse des gestes et des rythmes de la rue, depuis les townships de Johannesburg jusqu’aux favelas de Rio.

La danseuse s’échauffe lestement au centre du plateau puis s’élance dans une danse souple et élastique, au son d’un rap tonitruant. Brusquement elle s’interrompt pour s’adresser au public ; enrichies d’extraits vidéo, de brèves explications accompagnent chaque démonstration des danses dont elle exécute quelques mouvements. Esquissés en quelques gestes, évoqués au détour d’une image, nous voilà arpentant les quartiers noirs de Harlem, bientôt baignés dans l’atmosphère enfiévrée des nuits jamaïcaines.  Chaque danse s’impose comme l’expression à fleur de peau d’un lieu autant que d’une époque, et la conférencière retrace avec nous le contexte social et politique qui les ont vus naître. L’imposant travail ethnographique mené par le bouillonnant trio formé par François Chaignaud, Cecilia Bangolea et Ana Pi donne à voir le façonnent d’un mode de vie urbain et populaire. Les vidéos qui nous sont projetées proviennent pour la plupart de Youtube, désormais principale plateforme d’échange et de partage de la communauté des break dancers.  Parfois floues ou mal cadrées, elles semblent prises sur le vif dans la rue, sur la plage ou dans l’intimité d’une chambre d’adolescent. Les danseurs anonymes, d’âges et de corpulences variés, côtoient les stars du Krump et les égéries des communautés noires ; ils tissent entre eux la trame d’une histoire subversive de la danse, où les gestes traduisent l’énergie d’une révolte élevée au rang d’art.

Si le ton de la danseuse-conférencière, un peu scolaire et très enjoué, peut rebuter dans les premières minutes, on se laisse progressivement prendre au jeu de ses remarques souvent teintées d’humour et de son sourire taquin. On mesure à la voir ainsi se glisser tour à tour dans la peau d’une danseuse de Voguing ou de Kuduro le formidable travail d’appropriation qui fut le sien pour s’emparer avec une telle énergie de pratiques gestuelles aussi diverses. En témoigne d’ailleurs ses très nombreuses et pertinentes digressions pour retracer la filiation des gestes qu’elle nomme et commente ; pour nous en faire éprouver la saveur elle invite de temps à autre des spectateurs sur le plateau et leur enseigne quelques pas.

Le Tour du monde signe une fascinante plongée dans une contre-culture urbaine qui échappe encore bien souvent à l’Histoire ; sans transition nous sommes ballotés d’un continent à l’autre et traversons au pas de courses plusieurs décennies, au rythme des circulations incessantes de pratiques corporelles désormais mondialisées. Un livret bienvenu, distribué à la fin de la représentation, en retrace avec clarté les enjeux ; si la pièce est souvent proposée aux publics scolaires, elle est pourtant précieuse pour le plus grand nombre.

Vu au Centre National de la Danse à Pantin. Conception et recherche : Ana Pi, Cecilia Bengolea et François Chaignaud. Interprétation : Ana Pi ou Dalila Cortes. Photo © Pierre Ricci.