Photo Marc Domage

b. c., janvier 1545, Fontainebleau, Christian Rizzo

Par Wilson Le Personnic

Publié le 12 février 2018

Programmé dans le cadre de la troisième édition du festival Moi de la danse au Subsistances à Lyon, le solo b. c., janvier 1545, Fontainebleau du chorégraphe Christian Rizzo revêt les atours d’un aparté entre ses deux blockbusters d’après une histoire vraie et le syndrome ian, actuellement en tournée dans toute la France.

Créé en 2007 pour la danseuse Julie Guibert, cette pièce s’inscrit rétrospectivement dans une série de soli créés sur mesure par Rizzo pour des interprètes singuliers : Skull cult pour Rachid Ouramdame, comme crâne comme culte pour Jean-Baptiste André ou encore Sakinan Göze çöp batar pour Kerem Gelebek. Rencontré en 2004, pendant la création de ni fleurs, ni ford mustang pour le Ballet de Lyon, Julie Guibert était alors danseuse de la compagnie. « J’ai accepté de faire cette pièce pour le Ballet de Lyon après l’avoir vu danser un duo de William Forsythe. Je voulais absolument travailler avec elle ». Depuis cette première rencontre il y a plus de quinze ans, Julie Guibert est devenue l’une des interprètes phares de l’artiste, vue dans le le bénéfice du doute (2012), ad noctum (2015) et dans les dernières créations du chorégraphe.

Véritable écrin qui réverbère la lumière, le décor de b. c., janvier 1545, Fontainebleau est un grand white cube qui abrite des sculptures noires suspendues au dessus d’un sol recouvert de photophores contenant des bougies allumées. Les flammes vacillent et créent de magnifiques jeux d’ombres orangées sur les murs. « J’ai toujours voulu faire une pièce éclairée à la bougie (…) le titre de la pièce fait d’ailleurs référence à un événement historique : l’artiste Benvenuto Cellini devait livrer deux sculptures à François Ier et n’ayant pas eu le temps de faire la deuxième, l’artiste italien a eu l’idée de créer une installation lumineuse à la bougie autour de la sculpture… c’était une performance artistique avant l’heure » aime le rappeler Christian Rizzo.

Sous le regard d’une mystérieuse figure masquée d’une tête de lapin (derrière laquelle se cache le chorégraphe), la danseuse Julie Guibert – d’abord allongée sur une table en fond de scène – actionne alors les rouages d’une mystérieuse partition dont la signification restera obscure tout du long. « À partir du moment où commence la pièce, il n’y a plus d’issues, tout est sous contrôle, on est contraints par le son, par la lumière, par cette boîte, la partition est comme une spirale qui recommence et recommence, on ne peut plus en sortir jusqu’à ce que la pièce se termine (…) à la création j’ai eu très peur de la jouer, c’est comme une machine dévastatrice, à partir du moment où le rideau se lève et où le premier geste est fait, ça avance quoi qu’il arrive, il y a de l’intérieur ce sentiment d’avancer et d’avancer, sans jamais pouvoir revenir en arrière » confie le chorégraphe. 

Habillée d’un costume noir et d’une coiffe qui lui dessine son crâne, la danseuse longiligne élabore entre les bougies une chorégraphie millimétrée et incisive. Ces déplacements jouent sans cesse sur des déséquilibres, accentués par d’impressionnants talons en acier que porte la danseuse (accessoire déjà aperçu en 2002 dans une précédente pièce : avant un mois je serai revenu et nous irons ensemble en matinée, tu sais, voir la comédie où je t’ai promis de te conduire). Au fur à mesure de ses déplacements sur le plateau, l’homme masqué d’une tête de lapin opère une lente transformation de l’espace, ramassant peu à peu les bougies au sol et les réunissant sur la table qui prend alors l’allure d’un autel religieux.

Si le silence avait jusqu’alors rythmé la danse, un environnement sonore finit par saturer l’espace sans pour autant perturber la cadence et les mouvements de la danseuse, qui continue sont immuable chorégraphie. Dans un environnement sonore électronique oppressant (dans lequel on peut reconnaitre la patte du musicien Gerome Nox, autre fidèle camarade de Rizzo), partie prenante dans la construction d’une atmosphère étrange et morbide, la silhouette entre en dialogue avec ces sculptures noires, dans lesquelles nous distinguons parfois certains objets fétiches de l’artiste, tels que les plantes et les sphères. « Nous y retrouvons des fragments d’accessoires que j’avais initialement achetés pour faire des costumes… Les sculptures suspendues créent du trouble autour des lignes très précises créées par Julie ». La figure du lapin finit alors par abandonner le plateau avant de hisser une à une les sculptures jusqu’à les faire disparaître dans les cintres, laissant la danseuse imperturbable dans l’espace ainsi vidé, continuant son inlassable chorégraphie. « En vidant le décor de ces éléments, la pièce passe du sculptural au pictural », note le chorégraphe, qui rappelle ainsi ses affinités avec les arts plastiques.

Aux yeux de l’artiste, b.c., janvier 1545, Fontainebleau occupe une place particulière dans son oeuvre : « À l’époque, je pensais avoir atteint un point limite avec cette pièce, de l’ordre de la perfection que je cherchais, tout y est écrit, les moindres regards, les moindres déplacements dans l’espace, les moindres mouvements de doigts, une folie d’écriture extrême… C’est également la seule pièce dans laquelle je suis donc la seule pièce que je n’ai jamais vue. Cette pièce m’intrigue énormément, il y a quelque chose qui ne finit pas, un mystère qui n’a jamais été résolu, un mystère que je n’ai toujours pas défini (…) ». Véritable cérémonie dont les mystères resteront irrémédiablement secrets, la performance captive et fascine par l’aura d’étrangeté qu’elle dégage. Du fait de la rare puissance qui émane de cette pièce, il semble alors étrange qu’elle n’ait été programmée qu’une trentaine de fois depuis sa création il y a plus de dix ans.

Vu aux Subsistances à Lyon. Chorégraphie, scénographie, costumes Christian Rizzo. Avec Julie Guibert. Installation lumière Caty Olive. Création musicale Gerome Nox. Photo © Marc Domage.