Photo Simon Letellier

Simone Aughterlony & Michael Günzburger, Dirty Vestiges

Par Guillaume Rouleau

Publié le 15 septembre 2016

Au premier étage du Centre Culturel Suisse, dans le 3e arrondissement parisien, Simone Aughterlony (née en Nouvelle Zélande en 1977)  – qui mène un travail de performeuse, curatrice et écrivaine – et Michael Günzburger (né en Suisse en 1974) – plasticien travaillant, entre autres, la lithographie et le monotype – étaient réunis les 7 et 8 septembre 2016 dans le cadre du festival Extra Ball pour une performance anthropométrique : Dirty Vestiges (2015). Les anthropométries (l’expression est de Pierre Restany) d’Yves Klein (1928-1962) de 1960 étaient les traces laissées en publique par des femmes pinceaux sur la toile. Ces dernières, nues, recouvertes de peinture, venaient « impressionner » la surface. La surface du corps et celle de la toile se rejoignaient ; le corps, et non pas seulement la main, peignant la toile sans l’intermédiaire du pinceau. Des performances qui rejoignaient les techniques employées quelques années auparavant par Jackson Pollock (1912-1956), désignées par l’expression « action painting » par le critique Harold Rosenberg, qui redonnait dans l’acte de peindre une place importante au corps, à son déplacement autour d’une surface recouverte par des projections de peintures par un bâton. Chez Simone Aughterlony et Michael Günzuberg, la répartition des rôles convoque à la fois des gestes de l’anthropométrie et des gestes de l’action painting pour marquer un support de la surface du corps, de matériaux diverses, et conserver des vestiges de l’événement.

Dans la grande salle blanche au plafond bas, des plaques de bois recouvertes de dalles blanches cirées, comme des morceaux de carrelages éclatants, sont réunies en carré – entourés par les piliers et le public. Simone Aughterlony et Michael Günzburger se déshabillent rapidement, complètement. Après s’être enduit tout le corps d’une crème transparente, à l’exception du visage, Simone Aughterlony va en enduire la surface des dalles en prenant des poses qui mêlent application et désinvolture, perruque blonde coupée au carré portée quelques secondes, appuyant ses pieds, ses jambes, ses fesses, son buste, ses seins, ses bras contre les carrés blancs. Elle se relève, impassible, et Michael Günzburger, un tissu et des pigments ocres dans un sachet, répand cette poussière sur les dalles avant de passer un ballet duveteux, délicatement, pour évacuer le trop plein. Les tracés des poussières restés collées sont nets. Le processus se répétera avec de la cendre, un pigment bleu et du sang, celui de Simone Aughterlony. Son corps détermine une partie des tracés par la crème appliquée. Michael Günzburger en détermine d’autres par les gestes effectués (répandre les pigments, les étaler). Les matériaux employés – causes matérielles – participant du résultat. Des matériaux dirty qui ne sont pas ceux de la peinture traditionnelle : contreplaqué, toile cirée, cendres, sang, cheveux.

Ce qui diverge des anthropométries de Klein, de la mesure humaine de ces toiles, et des œuvres de Jackson Pollock, de ses projections de peintures, est cette répartition des rôles entre une personne qui applique l’enduit et une personne qui applique le pigment et cette utilisation des ressorts de l’art pauvre, des matériaux dévalorisés en art. 25 minutes de performances pour un support dont la surface est « souillée », où la nudité est à la fois celle des performers et celle de ce support sur lequel gisent des traces – un tableau qui « n’est que le témoin, la plaque sensible qui a vu ce qui s’est passé » dixit Yves Klein – à identifier, ces vestiges qui émergent (Emergent vestiges était le premier titre de la performance) des vestiges dirty mais dont le lieu d’exposition, à la blancheur clinique, provoque deux effets : soit une atténuation de la saleté, la crasse, conférant à ces vestiges des allures de clean vestiges, soit un renforcement de ce que ces matériaux peuvent avoir de repoussant. Dirty vestiges in a clean space.

Performance vue au Centre Culturel Suisse dans le cadre du festival Extra Ball. Conception et interpretation : Simone Aughterlony et Michael Günzburger. Photo Simon Letellier.