Photo lebruman

Les armoires normandes, Les Chiens de Navarre

Par Nicolas Garnier

Publié le 4 mars 2015

Les Chiens de Navarre ont une méthode radicale, à chaque nouveau spectacle c’est la même histoire, ils suppriment toute structure narrative préalable pour laisser la voie libre à l’écriture de plateau, guidée seulement par un thème général. Cette fois-ci ce sont les relations affectives qui servent de fil rouge, histoires d’amour, passions déchirantes, peines de cœur et autres drames conjugaux. Et pour introduire cette soirée placée sous le signe de l’affection, c’est Jésus Christ couvert de sang qui accueille les spectateurs tandis qu’ils prennent place.

Perché sur sa croix, en lévitation devant les gradins, il jacasse de tout et de rien. Ses divagations prennent progressivement forme, il dépeint les horreurs commises au nom de l’au-delà et le rôle joué par la symbolique religieuse. Après que deux personnages cagoulés aient opéré la descente de croix et embarqué la relique, il finit par se demander à quoi auraient ressemblé les croisades si la croix s’était plutôt faite poisson. Peut-être les « poissonnades » eussent-elles été moins meurtrières ? Sur cette méditation du bon pasteur s’ouvre une série de sketchs hilarants, fidèles à la légèreté de ton et à l’enthousiasme extrême de la troupe, où l’euphorie et la communion quasi-extatique cèdent soudain le pas aux pires cruautés. Les Chiens sautent d’un extrême l’autre, pour mieux déstabiliser le spectateur et exacerber ses sentiments.

Comme à l’accoutumé, le spectacle prend des faux airs de patchwork, les types de mise en scène sont allègrement mélangés, des séquences mimés où une cohorte de bruiteurs donne vie à l’action précèdent des entretiens sur canapé où de vieux couples livrent leurs secrets pour durer. Sur la piste sablonneuse qui fait figure de scène, tous les moyens sont bons pour explorer les tourments de la vie à deux. Les étapes y passent toutes, dans le désordre : l’ascèse volontaire, le célibat subit, la thérapie de couple, le mariage suivit dans la foulée de l’accouchement puis d’une partie de rugby avec le nourrisson, le premier baiser adolescent sur la plage, la crise de jalousie, etc, etc. Chaque cas possède ses deux versants, le premier clair et joyeux, le second sombre et résigné, entre lesquels la situation balance, incapable de se stabiliser une bonne fois pour toute. L’affect chez les Chiens, comme le reste, est ambivalent.

Les spectateurs sont partie intégrante de la relation, comme par exemple lorsque deux amants se frayent difficilement un passage jusqu’au centre des gradins d’où ils rejoignent ensuite la scène pour se marier. Le public des premiers rangs sera ensuite invité à poser sur la photo de noces, tels les représentants d’une famille étendue le temps de la représentation. Quand les festivités sont subitement écourtées par l’accouchement précoce de la jeune mariée, c’est sur les genoux d’un spectateur fort prévenant que celle-ci mettra au monde son rejeton. Avec Les armoires normandes, on retrouve donc tous les ingrédients qui font la fraîcheur et l’originalité des Chiens de Navarre. La troupe emmenée par Jean-Christophe Meurisse réussit encore à faire rire en tapant là où ça fait mal.

Vu à la Maison des Arts de Créteil. Création collective dirigée par Jean-Christophe Meurisse. Avec : Caroline Binder, Solal Bouloudnine, Claire Delaporte, Céline Fuhrer, Charlotte Laemmel, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne-Elodie Sorlin, Maxence Tual, Jean-Luc Vincent. Photos de Philippe Lebruman.