Photo Bart Grietens

Aneckxander, Alexander Vantournhout & Bauke Levens

Par Quentin Thirionet

Publié le 6 avril 2016

Alexander est belge, a étudié la roue simple à l’École Supérieure des Arts du Cirque puis la danse chez Keersmaeker. Il a crée un solo, un duo, collaboré, enseigné et été lauréat du concours CircusNext en 2014, plateforme dédiée aux nouvelles générations du cirque contemporain. Mais avant toute chose – et c’est lorsqu’on en lui fit la remarque que l’idée de cette performance germa – Alexander Vantournhout a un long cou, un crâne d’ange et une plastique d’éphèbe quelque peu disproportionnée. Ainsi commence son autobiographie d’un corps qui, de long en large, à tord et en travers, excitera les attributs grondant de son anatomie. La performance devient alors comme un jeu où tout est à la fois terrible et jubilant par ce qu’un corps dit du moi profond comme du je universel, mais sait aussi parler tout seul.

L’homme entre sur la scène qui était encore vide avant qu’il n’y installe minutieusement quelques objets (un piano, des chaussures compensées, des gants de boxe et une collerette). Alors que la mise en état se fait sous nos yeux, on comprend déjà que c’est le spectacle d’une représentation dont le parterre est fondement qui se trame alors. Mais l’affairé est encore costumé avant de disparaître sous le tapis de danse et d’en sortir en trombe, nu et magnifique, comme on ouvre un rideau de scène : le spectacle commence !

Avant de composer la topographie d’un matériau, il faut l’analyser, le déployer, le contraindre, mais aussi l’imaginer. Le danseur-acrobate s’y emploie avec la curiosité gracieuse et charmante d’un enfant-sauvage en prise avec un corps qui reste à découvrir. Cette tabula rasa des équilibres, des déplacements, des traits et des articulations offre un panel d’inventions sidérant tant les formules anatomiques en résultant ont plus à voir avec une zoomorphie imaginaire qu’avec nos perceptions coutumières de l’humain. L’étude réunit ainsi tout l’inédit d’un corps qui se déterminera dés à présent selon ses propres caractéristiques (ces épaules en avant, ce long cou, cette grande taille). Trois variations progressives sont alors mises en œuvre et en sueur à partir d’une série chorégraphique qui se répétera au fil des « augmentations » qu’Alexander Vantournhout s’imposera. Une mélodie jouée au piano s’enrichit ainsi graduellement, comme le danseur se pare d’éléments qui caractérisent ses particularités : les gants de boxes, la collerette, les chaussures compensées. Bien sur, l’affaire est loin d’être aisée, et l’on se sait plus si la performance relève du sacrifice par le handicap ou de la liberté par l’augmentation. En tout cas, le corps crie sa présence, âme comprise intimement liée, travaillant de concert. Travaillant.

Bauke Levens signe ainsi avec Alexander une dramaturgie brillante de simplicité. C’est l’histoire d’une initiation, d’une épreuve – de celles qui révèlent l’individu profond (le héros). Mais l’autobiographie ici exercée n’en oublie pas pour autant l’autre qui est étrangement placé au centre. L’autre est là, et lui, c’est les autres – tous les autres, ces mystères étrangers. Car transparait aussi la solitude disparue, la joie intérieure d’en être libéré, et le plaisir de partager l’expérience avec le spectateur qui travaille ainsi, lui aussi. D’ailleurs, tant qu’il y aura du public en sa présence, Aneckxander ne se cachera pas. Le spectacle-performance scotche, tressaille, émeut, apprend, rêve et instille une rencontre précieuse que l’on n’est pas près d’oublier. Une rencontre affective intense avec un personnage et un artiste qui méritent tous les éloges.

Vu aux Subsistances à Lyon. De Alexander Vantournhout & Bauke Lievens. Avec Alexander Vantournhout. Photo Bart Grietens.