Photo Duan Ni

6/7, Tao Dance Theater

Par Nicolas Garnier

Publié le 16 novembre 2015

Renâclant à doubler la danse par les mots, le chorégraphe chinois Tao Ye intitule sobrement ses pièces de suites numériques. Dans le diptyque 6/7, une demi-douzaine de danseurs alignés (six pour 6, sept pour 7) répètent une série de gestes dans une synchronie presque parfaite. Ces œuvres témoignent d’un nouveau minimalisme qui s’épanouit en Chine, renouant avec des problématiques liées au médium et au corps. Tao Ye voit dans l’introspection physique et l’exploration des sensations intimes l’objectif premier de la danse, aucune dimension narrative ne vient donc détourner les danseurs de cette quête formaliste. Dégagés de toute superstructure extérieure, les corps doivent s’épanouir dans une pure recherche esthétique, au double sens de la forme et de la sensation. Il s’agit cette fois-ci pour la compagnie chinoise d’une double performance ambivalente, opposant le clair à l’obscur, la musique instrumentale à celle des corps, toujours avec rigueur et discipline.

La première partie de la double pièce débute par un bourdonnement remplissant l’obscurité. Très progressivement, une rangée de corps se détache légèrement du fond brumeux. Les silhouettes sont parcourues d’une respiration souple. Genoux arqués, coudes et hanches se meuvent à l’unisson. Un même motif semble revenir régulièrement avec quelques variations, tandis que les nappes musicales de Xiao He enveloppent l’espace. La performance mutique suit son cours dans une pénombre changeante sans qu’aucune rupture ne vient bousculer son rythme. Au contraire, elle suit sa vitesse de croisière monotone, ce qui provoque fascination ou somnolence, selon la sensibilité du spectateur.

Dans la même logique que le déroulé linéaire de la chorégraphie, la synchronisation entres les danseurs reste constante. Pas un déphasage ne vient ajouter un peu de chaos ou de complexité. Toute l’organisation de la pièce semble au contraire tendre vers une certaine puissance simple, délaissant les artefacts de mise en scène qui briseraient le flux hypnotique des mouvements souples.

Après un court entracte, 7 tranche avec l’ouverture toute en nuances de la partie précédente. Une lumière crue irradie brutalement la scène blanche où les danseurs attendent en rang. Revêtus d’un costume blanc, leurs mouvements semblent être restés sensiblement les mêmes. Seulement cette fois aucune musique n’accompagne leurs déplacements, la bande son est plutôt directement produite par eux. À l’aide d’une multitude de micros quadrillant l’espace, Tao Ye capte les bruissement des tissus et des muscles, ainsi que la mélodie des souffles. Le groupe halète un chant abstrait, sorte de murmure sourd des corps, seul langage autorisé dans la performance dansée.

Avec cette pièce duale, le Tao Dance Theater délivre une prestation de haute volée dans laquelle il ne faut pas chercher autre chose que l’expression maîtrisée d’un corps collectif. Le vocabulaire chorégraphique, sobre et restreint, peut sembler sec de prime abord, mais il trouvera à n’en pas douter un écho appréciateur chez les spectateurs enclins à une certaine ascèse visuelle.

Vu au Théâtre de la Ville. Chorégraphie Tao Ye. Costumes Tao Ye, Li Min. Avec le Tao Dance Theater.  Photo de Duan Ni.