Photo Patrick Berger

Marc Lainé « Je voulais inventer un dispositif qui croise le théâtre, le cinéma et le rock. »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 13 avril 2015

Apres Memories From the Missing Room (2011) et Spleenorama (2014), Marc Lainé retrouve les musiciens du groupe Moriarty et signe Vanishing Point (Les deux voyages de Suzanne W), long voyage qui nous entraîne dans la quête de trois personnages à travers les paysages du grand ouest des Etats-unis. Tout a débuté par un long road trip sur les routes du grand nord canadien : le metteur en scène a parcouru, au volant d’une voiture, plus de 3000 kilomètres à travers les provinces du Québec.

Quel a été le point de départ de Vanishing Point ? Comment les personnages de Tom, Suzanne et Jo sont-ils apparus ?

C’est difficile de décrire le processus de création. Pour chaque projet, il y a une intuition initiale, un « flash », qui va déterminer tout le travail. Pour Vanishing Point, je voulais représenter un road-trip sur une scène de théâtre. Et pour moi, un road-trip sur scène était forcément un voyage immobile, un voyage mental. Alors l’histoire de cette femme qui se suicide aux gaz d’échappement dans sa voiture et qui fait un voyage sans jamais quitter son garage est née, en même temps que j’ai eu l’idée du dispositif scénographique et vidéo. Et dans ce garage, il y avait aussi un groupe de rock et sa chanteuse qui répétait pendant que la femme s’asphyxiait… Et puis au moment de mourir, cette femme voyait apparaître un jeune auto-stoppeur qu’elle allait embarquer pour son dernier voyage… Voilà quelles étaient mes premières idées, mon intuition initiale… À l’origine aussi, j’imaginais situer ce road-trip sur le territoire des Etats-Unis. Mais j’ai rencontré Ginette Noiseux, la directrice de l’Espace Go, un théâtre à Montréal. Lorsque je lui ai décrit mon projet, elle m’a aussitôt parlé de la route de la Baie-James. Une route de 600 kilomètres qui part de Matagami et qui va jusqu’à Radisson en traversant le territoire des amérindiens cris, des milliers de kilomètres de forêt d’épinettes. J’ai été impressionné par son récit et j’ai décidé de faire ce voyage et de découvrir ce territoire pour écrire ma pièce.

Les personnages semblent avoir été créé spécialement pour Pierre-Yves Cardinal, Marie-Sophie Ferdane er Sylvie Léonard, comment s’est déroulée l’écriture de Vanishing Point ?

En effet, j’ai écrit la pièce pour ces trois acteurs. J’avais une idée assez précise de l’histoire que je voulais raconter, mais ce que j’ai découvert de chacun d’eux m’a énormément influencé et a sans doute bouleversé le sens même de mon histoire. La force de vie qui se dégage de Sylvie Léonard m’a beaucoup inspiré pour imaginer son personnage par exemple.

Vous retrouvez le groupe Moriarty après Memories From the Missing Room. De quelle manière la musique de Moriarty a t-elle influencé votre travail dans Vanishing Point ?

Stephan Zimmerli des Moriarty a fait le voyage dans le grand Nord avec moi. Comme moi, il a été influencé par les paysages que nous avons traversés et par la découverte de la culture cris (peuple autochtone dans les régions subarctiques et les régions des Plaines, ndlr). Quelques mois après ce voyage, nous avons commencé le travail d’écriture par une résidence de création musicale. J’écrivais la pièce pendant que le groupe composait. Tout s’inventait dans un aller-retour permanent entre la musique et la fiction. Nous nous sommes accordés sur des thèmes et nous avons en quelque sorte défini ensemble « l’atmosphère » du spectacle.

Les personnages de Memories From the Missing Room, Spleenorama et Vanishing Point on tous un point commun : celui d’être en quête de soi-même.

Oui… Il y a une très belle chanson de Chet Baker qui s’intitule Let’s get lost. Choisir de se perdre, c’est un beau projet. Aller sans but, à l’inconnu, accepter de dériver et se laisser surprendre par ce qu’on découvre, ce qu’on apprend du monde et sur soi. C’est peut-être ça la véritable définition du voyage. C’est peut-être aussi celle de toute véritable aventure artistique.

Vos pièces baignent toutes dans une atmosphère cinématographique, c’est d’autant plus visible dans Vanishing Point puisque vous intégrez au dispositif scénique deux caméras qui filment en direct les personnages sur le plateau.

Pour Vanishing Point, je voulais inventer un dispositif qui croise le théâtre, le cinéma et le rock. Nous nous amusons à jouer avec les genres et les disciplines. Deux caméras motorisées filment en direct le plateau et les acteurs. Ce dispositif vidéo permet notamment de faire exister le road trip sur scène. Mais l’écriture même de la pièce, la construction du récit procède d’un effet de montage cinématographique : deux récits qui s’entrelacent, s’imbriquent l’un dans l’autre et on doit passer d’une scène à l’autre presqu’en « cut », avec une fluidité propre au cinéma.

Vous puisez vos références aussi bien dans le cinéma que dans la littérature. Quelles ont été vos inspirations pendant la création de Vanishing Point ? 

Les films de Lynch ou des frères Coen, les romans de McCarthy, Pynchon ou Wallace, toutes ces œuvres qui jouent avec la culture populaire américaine sont des références pour moi, autant que les séries télés HBO ou les soap opéras…

C’est intéressant de s’apercevoir que certains éléments se font échos entre vos dernières pièces : les lacs, les chambres d’hôtel, la culture américaine… Et bien sur vos décors, dans lesquels nous retrouvons des réminiscences de chacun des espaces traversés par les personnages.

C’est vrai, mais je suis incapable de vous dire pourquoi ces motifs m’obsèdent… La glace notamment. Il y a quelques années, j’ai écrit un spectacle basé sur l’histoire vraie de deux patineuses artistiques qui s’affrontaient, donc, déjà, sur la glace. Il doit y avoir une dimension symbolique tellement évidente que je ne la vois pas. Il est sans doute temps que je m’interroge sérieusement là-dessus.

Vanishing Point (Les Deux Voyages de Suzanne W.) Conception, installation et mise en scène Marc Lainé. Musique Les musiciens de Moriarty : Charles Carmignac, Thomas Puéchavy, Vincent Talpaert et Stephan Zimmerli. Photo Patrick Berger.