Photo UnAlbum 5654 © Dorothée Thébert Filliger

Laetitia Dosch « Sur scène, on n’est jamais vraiment seul »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 21 septembre 2015

Quiconque à pu voir son solo Laetitia fait péter… se souvient de Laetitia Dosch. Il y a un an, alors que la grève des intermittents menaçait le festival d’Avignon, elle faisait la une des Inrocks à moitié nue au côté de Stanislas Nordey et de Manuel Vallade en soutient au mouvement. Celle qui a fait ses armes auprès de Marco Berrettini et La Ribot est aujourd’hui l’une des étoiles montantes de la scène française, aussi bien au théâtre qu’au cinéma. Sa dernière création intitulée Un Album est le dernier volet d’une trilogie de solos sur l’« entertainer » qu’elle écrit, incarne et met en scène. Première française au Théâtre des Bernardines dans le cadre du festival actoral les 25 et 26 septembre.

Laetitia fait péter… et Jeff Koons à Versailles sont les deux premiers spectacles d’une trilogie sur l’« entertainer ». Comment ce triptyque a-t-il pris forme ?

Ce qui m’intéresse au départ, c’est de mettre mes spectacles le plus possible « au présent ». La situation la plus « présente » pour un spectateur, c’est d’avoir quelqu’un qui joue devant lui. À partir de là, on peut inventer plein d’accidents : celui qui joue ne veut finalement pas jouer la pièce et fait autre chose, quinze personnes qui débarquent sur scène alors qu’elles ne sont pas prévues, etc. Ces accidents rendent le spectateur actif, il ne sait plus ce qui est prévu ou fortuit, ce qui est spectaculaire ou banal. Ces différentes propositions questionnent la véritable attente des spectateurs lorsqu’ils vont voir un spectacle. Et là où la réponse est la plus claire – et donc la plus amusante à brouiller – c’est dans les spectacles comiques. Les gens sont là pour rire. L’entertainer sur le plateau est là pour nous faire rire, mais il ne faut pas oublier que c’est aussi un être humain et non une machine : il ne fait pas toujours ce qui est prévu au programme. Ce triptyque essaye de retrouver ce qui n’est pas prévu au programme.

La danse semble avoir été un élément déclencheur dans votre parcours. Comment a-t-elle influencé votre façon de concevoir des spectacles ?

Marco Berrettini était mon prof de danse à l’école. Il regardait la série Ally Mc Beal pour analyser les tempi de son jeu et il trouvait que c’était de la danse. Le pont entre la danse et le jeu était assez naturel pour lui, il m’a transmis cette dualité et cette liberté. Je me souviens que pendant notre premier cours il nous a demandé de faire une impro d’une heure sur le thème « Il faut sauver le spectacle vivant » et que nous devions utiliser des Ghetto-Blaster et des CD de Beyonce. Ce que j’ai appris de lui et de La Ribot, c’est l’influence des textes philosophiques qu’on lit et relit pour arriver à transformer concrètement une idée.

Votre nouvelle création Un Album, prend sa genèse dans la figure de Zouc, humoriste suisse. Quelles étaient vos envies avec cette nouvelle pièce ?

J’ai découvert Zouc sur le tard et, contrairement à beaucoup de Suisses, je n’ai pas un rapport affectif avec elle mais son personnage me fascine. La structure de sa pièce intitulée l’Alboum m’a toujours beaucoup intéressé : il s’agit d’imitations successives, sans lien de fiction, de personnages d’horizons sociaux très différents et qu’on a pas l’habitude de voir sur scène. Son corps est capable de tout incarner et ces imitations finissent par anoblir l’espèce humaine : les différences entre chacun des personnages sont finalement minimes à travers elle. J’aimais également l’idée que la personne qui est sur scène n’intervienne jamais en tant qu’elle-même : elle parvient à saisir des voix et s’approprie des corps mais ce n’est jamais le sien qui est incarné sur le plateau. J’ai souhaité garder cette structure et faire mon propre album.

Vos spectacles sont toujours le fruit d’une longue recherche, vous collectez du « matériel », vous vous documentez énormément. Quels ont été vos lignes de recherche pendant la création d’Un Album ?

Pour écrire Un Album, j’ai puisé dans mes souvenirs. J’ai également fait des voyages dans des villes francophones, en allant dans les endroits publics, la rue, Pôle Emploi, les hôpitaux, etc. C’est un spectacle sur l’expérience. Qu’est-ce qui s’imprime dans notre mémoire, notre corps, de ce que l’on vit? Qu’est-ce qui nous constitue? C’est effectivement des mémoires de gens proches, mais pas que. Les voyages m’ont permis de rencontrer des gens, de vivre des expériences que je n’étais pas programmée pour vivre.

Chacune de vos création est soulignée par la collaboration avec un artiste, un dramaturge, un plasticien, un metteur en scène… Avec Un Album, vous avez travaillez avec Yuval Rozman, Fanny de Chaillé et Nadia Lauro, comment leurs regards ont-ils nourri cette nouvelle pièce?

Oui, c’est très important de ne pas être seule pour faire un solo, il faut au moins un interlocuteur quasi permanent. Yuval Rozman a vraiment voyagé avec moi, il était presque tout le temps là, pour écrire les sketches, travailler le corps des personnages. Fanny de Chaillé est quant à elle intervenue comme regard extérieur. C’est très important d’avoir des rendez-vous plus ponctuels qui jalonnent la période de création d’un spectacle car on n’a pas toujours la distance nécessaire, après plusieurs mois d’écriture et de recherche, pour avoir une vision objective de l’avancée du travail. Son regard frais nous a offert de nouvelles perspectives et nous a permis de consolider la structure du spectacle. Je voulais travailler avec la scénographe Nadia Lauro depuis longtemps. Dans cette nouvelle création, c’était important pour moi que l’espace dans lequel j’évolue symbolise une part du propos, sans que je n’ai besoin de le personnifier. Qu’il entraine le spectacle vers quelque chose de plus abstrait, avec un matériel de jeu pourtant très concret. Elle a tout de suite compris l’univers et a travaillé très vite. Tout comme Jonas Bühler qui signe les lumières.

Avec Un Album Vous continuez d’explorer la solitude du plateau et vous cultivez également cette notion d’équilibre sans filet, notamment dans votre rapport au public.

Sur scène, on n’est jamais vraiment seul, on respire avec les spectateurs : ce ne sont pas simplement des interlocuteurs, ce sont des partenaires. Cette nouvelle pièce est moins dérangeante que Laetitia fait péter…, ou alors elle met mal à l’aise d’une façon différente. Il y a, c’est certain, la recherche d’un ton, qui peut faire rire ou faire peur, où les deux à la fois. Les réactions du public sont par conséquent très disparates dans la salle : c’est ce qui, je pense, crée un sentiment de malaise.

Un Album. Directrice artistique et interprétation Laetitia Dotsch. Oeil extérieur et mise en scène Yuval Rozman. Scénographie Nadia Lauro. Lumières Jonas Buhler. Oeil extérieur ponctuel Fanny de Chaillé. Photo Dorothée Thébert Filliger.