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Jefta van Dinther, Voyage au bout de la nuit

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 31 octobre 2014

Jefta van Dinther est un chorégraphe et danseur originaire de Suède. Il présente ce mois-ci avec Thiago Granato This is concrete du 14 au 16 novembre au Centre Pompidou à Paris.

Pouvez-vous revenir sur la genèse de This is Concrete?

Ça a commencé avec une fascination sur la perception et l’expérience que nous faisons du temps. Nous avons tous les deux été dans des situations où le temps nous est apparu comme quelque chose de tangible, de matériel. Nous avons décidé de voir si nous pouvions travailler sur le temps de la même façon que nous travaillons sur le corps ou sur le mouvement d’autres matériaux physiques dans l’espace. Nous voulions créer un endroit où nous, ainsi que le public, pouvions découvrir une expérience de temps passé ensemble dans laquelle pas grand chose était générée en terme de productivité, mais plutôt en termes d’accès au temps en lui même.

Vous co-signé le spectacle avec le chorégraphe Thiago Granato. Comment avez-vous collaboré ?

Nous avons commencé par mener des recherches très abstraites sur le temps, en essayant de le confronter à un vocabulaire chorégraphique abstrait. C’était passionnant, mais nous nous sommes vite rendu compte des limites de ce procédé dans lequel le mouvement était forcément enfermé dans le cadre de la danse générique, c’était trop traditionnelle, formelle. Nous avons donc recentré nos recherches sur nos expériences et perceptions du temps. Pendant cette période, nous avons passé beaucoup de nuits dans les clubs et nous avons été frappé par la disparition de la notion de temps dans les boîtes de nuit. A travers la danse, les conversations, le sexe et l’ivresse, le temps passé dans les clubs est apparu comme un temps non productif et un lieu où la durée en elle même pouvait être vécue, dans lequel les gens sont réellement immergés dans le temps. L’enjeux était de matérialiser cette notion du club au studio. La sexualité, l’intimité, et les forces immatérielles entre les gens sont devenus les pierres angulaires de This is concrete.

Quand la musique est-elle arrivée dans le processus de création ? Quelle influence a-t-elle eu sur l’écriture de la chorégraphie ?

La musique a intégré très tôt le processus de création. Nous avons demandé à David Kiers de composer une musique qui se développe très lentement, de manière homogène et continue. Quelque chose comme une soupe en ébullition qui révèle différentes textures à des moments différents, mais dans laquelle tout ces éléments ne peuvent être identifiés. Nous sommes perdus dans la musique, dans l’image des corps. Le rythme lent donne aussi une sensation de relâchement à la chorégraphie, une ambiance d’after-party, dans laquelle les corps rentrent dans une autre phase.

Quels ont étaient les enjeux de faire danser deux hommes ensemble ?

Comme je le disais plus tôt, les questions d’intimité, de sexualités et des forces qui existent entre deux personnes attirées l’une par l’autre ont été la genèse du projet. Je pense que la danse est une des rares activités dans laquelle les hommes sont autorisés à exprimer leur sensibilité. C’est rare de voir de la sensualité entre les hommes. C’est quelque chose que nous voulions mettre en valeur. Personnellement, le fait de danser de cette manière avec Thiago devant un public me donne un sentiment de liberté. C’est surtout le fait d’être dans un rapport d’intimité avec lui, pas seulement en mettant les spectateurs dans une position de voyeur, mais aussi en leur suggérant des forces similaires intrinsèques. Je n’avais jamais fait face à ces questions de manière aussi directe et explicite. N’étant pas l’enjeux de la pièce, cette ambiguité m’a libérée de mes propres modèles et valeurs.

Vos performances sont toujours très visuelles et plastiques. Quelle relation entretenez-vous à l’art contemporain ?

On me fait souvent ces remarques et je réalise de plus en plus que je pense et travaille de manière très plastique. Je perçois tous les éléments d’une performance comme des matériaux, mêmes ceux qui sont immatériels. J’aime l’idée que je peux littéralement plonger mes mains dans tous ces éléments. La façon dont j’ai travaillé la lumière avec Minna Tiikkainen ou la façon dont j’utilise des médiums bruts sur scène convergent vers cette idée. J’aime l’interaction des corps avec des matériaux lorsqu’ils sont soumis à des processus de transformation. Mes pièces peuvent ressembler à des installations, mais je travaille toujours dans le cadre de l’espace théâtral avec un début, une fin, et une dramaturgie.

Vous allez également présenter As it Empties Out au Centre National de la Danse. Quels sont les enjeux de cette nouvelle création ?

Avec la pièce As It Empties Out j’ai voulu créer des séquences très visuelle, sombres et oniriques, principalement centrées sur le corps et son activité. Un corps qui, soumis à un rituel, s’étend vers l’extérieur, au-delà de lui-même et traverse des états singuliers, vers l’immatériel, le transcendantal, le spirituel ou l’abstrait. Les corps sont la matière première de la pièce, mais ils disparaissent, se dissolvent. La juxtaposition fantastique de ces scènes permet au spectateur de voyager de manière subconsciente entre ces différents éléments sans corrélation. Je souhaite élargir le champs d’association et solliciter la subjectivité des spectateurs, leur permettre de construire différentes histoires.

Photo © Jefta van Dinther