Photo © Alípio Padilha

Terça-feira : Tudo o que é solido dissolve- se no ar, Cláudia Dias

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 20 mars 2018

Dans le cadre d’un focus sur la création chorégraphique portugaise organisé par le festival DañsFabrik à Brest, la chorégraphe Cláudia Dias a présenté sa dernière création Terça-feira : Tudo o que é solido dissolve- se no ar au Quartz. Deuxième opus d’une série de sept pièces aux enjeux sociaux et politiques, Terça-feira retrace le parcours erratique d’un enfant expulsé de Palestine jusqu’en Italie.

Terça-feira : Tudo o que é solido dissolve- se no ar s’inscrit dans un projet au long cours intitulé Sete Anos Sete Pecas (2015-2022). Quels sont les enjeux de ce projet ?

Sete Anos Sete Pecas a été pensé et conçu comme un projet au long cours qui a pour ambition la création de sept pièces en sept années consécutives et dont chacune est une rencontre avec un artiste différent. Sete Anos Sete Pecas a également deux projets satellites : Sete Anos Sete Livros, qui vise l’édition de sept livres contenant le texte des pièces avec des illustrations de l’artiste Jorge Gonçalves, ainsi que Sete Anos Sete Escolas, qui aspire à réaliser un travail continu avec des jeunes élèves issus d’écoles publiques en facilitant leurs accès aux langues contemporaines, par la prise de conscience qu’ils ne sont pas seulement de potentiels spectateurs d’art mais également des créateurs. Ce projet est devenu ma réponse à la politique d’austérité. C’est un geste à contre courant je pense, avec lequel je veux revendiquer le droit de créer avec continuité, dans un horizon à long terme. Ce projet est celui avec lequel je souhaite terminer ma carrière en danse.

Chaque pièce est l’occasion d’une rencontre et d’une collaboration avec un artiste different. Ici vous avez travaillé avec Luca Bellezze, qu’est-ce qui animait votre intérêt pour cet artiste ? Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Luca était mon étudiant lorsque j’enseigné à Polverigi (commune italienne située dans la province d’Ancône, ndlr) il y a quelques années. Son ouverture vers d’autres langages que le sien a suscité mon désir de collaborer avec lui. C’est à travers son regard que j’ai appris que le désir, plutôt que d’être un élément platonicien, était un outil pour construire un futur. Luca et moi partageons également en commun une méthode de travail appelée : « Real-Time Composition » créée par le chorégraphe portugais João Fiadeiro, que nous avons mis en pratique pour cette cette création. J’ai également fait de nombreux entretiens avec le journaliste José Goulão, spécialiste des sujets du Moyen-Orient, ainsi que d’autres personnes et structures, comme des membres du Conseil portugais pour la paix et la coopération.

Le decor de Terça-feira est simple : deux tables parsemées d’objets encadrent une scene inclinée que vous partagez avec Luca. Vous restez mutiques et un texte est projeté au dessus de vous. Comment ce dispositif est-il apparu ?

Le dispositif s’est développé au fur et à mesure de notre travail. Nous avons d’abord commencé à travailler en studio avec du fil, puis au cours des répétitions nous avons fini par trouver des similitudes esthétiques avec les films d’animation La Linea d’Osvaldo Cavandoli. Nous avons ensuite élaboré un paysage sonore en parallèle des tableaux que nous dessinions. Dans un dernier temps, nous avons écrit le texte qui est projeté au dessus de nous. Nous avons fais le choix de ne pas dire le texte mais de le projeter, c’est une manière de respecter l’expérience de vie des personnes dont nous parlons : expulsées de leurs terres et contraintes à une migration constante. Je ne peux pas parler à leur place, mais je peux raconter leur histoire. C’est une manière de proposer au public un exercice de mémoire – d’un point de vue historique, politique et économique – qui expliquent le sort des réfugiés, en particulier palestiniens.

De manière générale, comment le politique traverse-t-il votre travail artistique ?

On peut choisir d’être un artistique qui s’attèle seulement à la « pure » transformation des langages ; choisir d’être un artiste activiste, concerné par les enjeux sociaux de votre temps ; ou même être un artiste-navire pour les idées dominantes – tout est politique. Chaque oeuvre, chaque action, traduit un regard, une position. L’enjeux est, en grande partie, dans comment vous choisissez l’angle par lequel vous attaquez. Et j’ai déjà fait ce choix. J’ai la sensation que nous vivons dans une période historique pivot et dangereuse. Je pense que nous devrions être en alerte et ne jamais abandonner l’idée qu’à travers nos actions, nous construisons les conditions d’une vie meilleure pour les générations à venir. Nous ne vivons plus avec l’idée de pacte de stabilité sociale établie à l’époque de l’après-guerre. Nous nous trouvons dans une époque où les vieilles forces émergent au grand jour, et où nous devons nécessairement jouer le jeu de la convergence des luttes. Les artistes ont, dans de telles périodes, un rôle important à jouer – s’il ne sont pas trop occupés à défendre le petit bout de viande qu’ils possèdent déjà.

Conception et direction Cláudia Dias. Artiste invité Luca Bellezze. Texte Cláudia Dias. Regard exterieur Jorge Louraço Figueira. Régie et lumières Thomas Walgrave. Assistance Karas. Animation Bruno Canas. Photo © Alípio Padilha.