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Rémy Yadan, Le retour des Fumeurs noirs

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 16 janvier 2015

Rémy Yadan est artiste plasticien et metteur en scène. Sa pièce Les fumeurs noirs, présentée sous la forme d’une ébauche la saison dernière au Théâtre de Vanves, revient sur les terres de sa création les 26 et 27 janvier au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival Artdanthé. . À l’occasion de cette re-création, Rémy Yadan a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions :

Vos précédentes performances ont été réalisées en « one shot ». Pourquoi reprendre aujourd’hui « Les Fumeurs noirs » ?

Elles n’ont pas toutes été réalisées en one shot. Take this waltz ou Au risque de s’y plaire, Tout va le mieux qu’il soit possible, ou encore Huitième de soupir sont des pièces qui ont été jouées plusieurs fois successives (entre 2 à 4 fois selon les projets). Mais il est vrai que la plupart du temps les spectacles ou les performances se jouent davantage une seule fois devant le public. Je crois que cela s’explique aussi par les lieux dans lesquels j’investis mon travail. Ils ne sont pas tous fait pour accueillir des créations contemporaines, encore moins des spectacles. C’est également ce qui fait oeuvre dans ma démarche. Le Palais Farnèse, Le grand salon de la Villa Médicis, la Cité des Arts ou encore l’Académie de Roumanie à Rome sont des lieux qui n’ont pas pour vocation de recevoir des formes théâtrales ou chorégraphiques, ce qui explique les uniques représentations publiques. C’est aussi à cet endroit précis que ce joue la dimension performative du travail par le détournement du lieu. Ils ne sont pas choisis par hasard. Souvent, ce sont d’ailleurs de somptueux espaces. Je m’imprègne donc au mieux de ces ensembles et de tout ce qui les caractérise pour resurgir créativement. Si je reprends Les Fumeurs Noirs c’est aussi pour ces raisons puisqu’il s’agit ici d’un théâtre qui permet la stabilisation et la reconduite du travail et j’avais particulièrement envie d’aboutir ce spectacle qui m’a demandé énormément d’énergie. Un one shot n’était pour le coup pas à la hauteur de mes espérances. J’ai donc réussi à remettre en jeu cette création, en repensant parfois la distribution et l’écriture finale.

Dans Les fumeurs noirs, le public est debout, encerclé par des podiums. Ce n’est pas la première fois que vous utilisez cette mise en espace d’arène…

Effectivement, mes dispositifs se fondent souvent sur des éclatements spatiaux. Dans la mesure du possible, j’investis l’intégralité des lieux, la scène et ce qui l’entoure, les hauteurs, les perspectives opérationnelles, les renfoncements, les replis… une complète réappropriation des architectures, ce qui suscite quelquefois une prise différente sur le public, une saisie du spectateur. En somme, je déploie en trois dimensions réelles et physiques ma création performative et théâtrale, ce que je ne peux naturellement pas réaliser dans mon travail d’image vidéo. J’ai également plusieurs spectacles où le public est assis devant la scène. Tout dépend du projet et du lieu dans lequel il se déploie.

Ce dispositif scénique fait-il référence aux architectures que vous avez sans doute rencontrées lors de votre séjour à Rome lorsque vous étiez pensionnaire à la Villa Médicis ?

On peut effectivement évoquer le Foro Italico à Rome, pensé par Mussolini. La dimension hégémonique, fascisante et magistrale s’installe harmonieusement dans le spectacle. Cette éternelle dualité entre la pétrification et la vanité humaine me bouleverse.

Pouvez vous nous parlez de la genèse des Fumeurs noirs ? Comment avez vous travaillé avec les comédiens ?

Je ramène de la matière première, des improvisations, des intuitions créatives. En fonction des gens, mes envies de proposition varient et j’expérimente, en fonction de ce qu’ils sont, des scènes avec les corps, le texte et la musique. A partir de là, je rebondis sur ces tentatives avec rigueur et détermination pour que la beauté poétique puisse exister malgré la maitrise de l’interprétation. C’est là tout le problème parce qu’il faut du savoir-faire et en même temps il faut être dépassé parfois par sa propre scène, son propre jeu. Trop de maitrise conduit à une structure stérile et il faut qu’il y ait de la matière. C’est tout le travail de direction.

La performance fait dialoguer des textes de Michel Foucault avec des images, des chansons pop… Comment avez-vous collecté et mis en relation ces différents éléments ? 

J’ai voulu faire cohabiter le formatage, la hiérarchie, la sécurité obsessionnelle, l’ordre et le supplice contenu dans certains textes de Surveiller et Punir de Michel Foucault avec celui de Walt Whitman qui est d’une effervescence libérée, organique et bouillonnant de beauté, comme un contrepoint du pouvoir. Un sursaut possible de vie et de liberté.

Vous travaillez toujours avec de grandes distributions, mêlant acteurs professionnels et amateurs, c’est la force d’un groupe qui vous intéresse ?

Oui, il y a souvent un grand nombre d’interprètes dans mes réalisations.  Cette agitation humaine, cette vibration collective m’excite et donne un corps solide à mes recherches plastiques et scéniques. Je parle souvent d’aventure artistique et humaine. Il y a une équipe très fidèle et de nouveaux comédiens passent et repassent sans cesse. Je travaille essentiellement avec le désir des uns et des autres. Je ne fais jamais de casting.

Vous venez des arts plastiques. Lorsque vous étiez étudiant aux Beaux Arts de Cergy, vous réalisiez déjà des performances et des vidéos, comment passez vous d’un médium à un autre ?

Deux champs d’action principaux se sont effectivement définis au fil des années. Celui de l’image en mouvement et celui de la mise en scène. J’avais un parcours plutôt théâtral avant d’entrer à l’Ecole Nationale Supérieure d’Art de Cergy. Là, pendant ces années d’études, je me suis engagé dans la création vidéo et j’ai profité également de mon savoir faire interprétatif pour déployer mes premières performances théâtrales au sein même de l’établissement. Je faisais participer de nombreux intervenants extérieurs pour ces événements plus ou moins publics. L’appellation de performance théâtrale n’est pas réellement définitive même s’il y avait déjà à cette époque, d’évidentes références aux arts visuels qui se mêlaient à celles du spectacle vivant, qu’elles soient théâtrales ou chorégraphiques. Ayant par la suite fidélisé ces deux modes de recherches et de travail, j’ai pu définir mon identité artistique sur ces deux pôles complémentaires, comme artiste plasticien cultivant la vidéo et la mise en scène.

Y’a-t-il des liens qui se créent entre ces deux pratiques ?

Bien évidemment, le rapport à ces deux médiums ne fédère pas du tout les mêmes enjeux, ni dans l’élaboration de la démarche, ni dans le résultat. Pour comprendre ce qui caractérise ces deux choix, je dois peut-être, dans un premier temps, comprendre ce qui les différencie. D’une part, dans mes oeuvres vidéos, je travaille souvent seul, aussi bien dans les prises de vue généralement saisies sur le vif que dans l’accomplissement du montage, alors que dans le dispositif scénique, l’édification des recherches plastiques et des improvisations sont communément l’aboutissement d’un dialogue physique et textuel, que je conduis en répétition, avec un grand nombre d’acteurs, de danseurs, de chanteurs, de musiciens et parfois de performeurs. D’autres part, le rapport à la temporalité s’impose dans une notable distinction. Le travail vidéo définit une forme et la fige dans sa propre finalité, alors que dans les performances théâtrales, l’instantanéité de l’événement et les espaces dans lesquels j’interviens sont davantage déterminants – ces valeurs sont inhérentes à l’histoire de la Performance. Ce qui motive donc mon choix, dans une expression ou dans une autre, est profondément lié à ce que l’une et l’autre engagent.

Quels sont les metteurs en scène ou les artistes dont vous vous sentez propre aujourd’hui ?

On sait pertinemment que l’on se forge aussi sur des esthétiques marquantes. Je pense aux peintures de Caravage, de Richter, aux expositions performatives de Brett Bailey, d’Adrien Paci, de Christoph Schlingensief, aux spectacles de Romeo Castelluci, de Jürgen Gosch, d’Angelica Liddell, de Pippo Delbono, de Pierre Meunier ou d’Yves-Noël Genod, aux musiques de Ellen Alllien, de Magic Malik, de Koudlam, de Broadcast, de Plannigtorock, de J-S Bach ou de Brian Eno. Je ne peux pas oublier de citer Fellini et Pasolini.

Conception Rémy Yadan. Avec Bénédicte Cerutti, Jean Bechetoille, Jessica Buresi, Sylvie Causera, Pierre-François Doireau, Nelle Faure, Fabrice Hasovic, Djélali hammouche, Sébastien Peyrucq, Laurent Ramon, Pascal Ramon, Diane Regneault, Sylvie Subra, Cécilia Yadan, Rémy Yadan. Photo © Olivier Allard.