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Philippe Quesne « Les théâtres doivent être des lieux de rassemblement »

Propos recueillis par François Maurisse

Publié le 14 août 2017

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figure établie ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêtée au jeu des questions réponses. Ici le metteur en scène Philippe Quesne (1970).

Après une formation en arts plastiques et de multiples collaborations en tant que scénographe, Philippe Quesne créé sa compagnie en 2003, le Vivarium Studio. Il commence alors un travail de metteur en scène, mêlant une esthétique bricolée, un humour pince-sans-rire, et des références à la philosophie ou à l’histoire de l’art. Depuis sa nomination en 2014, à la tête de Nanterre-Amandiers, centre dramatique national, il continue à tourner son répertoire dans le monde entier avec notamment L’Effet de Serge (2007) et La Mélancolie des dragons (2008), tout en produisant de nouvelles créations dont notamment Caspar Western Friedrich en 2016 avec les acteurs du Kammerspiele de Munich et dernièrement La Nuit des taupes. Il sera prochainement à la 14ème Biennale d’art contemporain de Lyon.

Quel est votre premier souvenir de théâtre ?

Je crois que mon premier souvenir d’une représentation est plutôt un spectacle de marionnettes, c’était Guignol au Parc Montsouris. Le premier souvenir dans une vraie salle de théâtre, c’est la tournée d’adieu des Frères Jacques au Théâtre des Champs Elysées avec mes grands parents. Puis Le Bal en 1981 une création collective par le théâtre du Campagnol.

Quels sont les spectacles qui vous ont le plus marqué en tant que spectateur ? 

Dans mon enfance, j’ai été très marqué par un groupe néerlandais nommé Hauser Orkater, avec Regarde les hommes tomber. J’avais 10 ans, c’était une histoire d’aviateurs qui s’écrasent sur terre et un spectacle rempli de musiques. Ils ont aussi monté quelques années plus tard une pièce à Bobigny dont je ne me souviens plus du titre mais qui est devenu ensuite le scénario du film Les Habitants de Alex van Warmerdam, dans un grand décor de paysage urbain avec un immeuble au milieu d’un bois. Dans mon adolescence je me souviens aussi de la chance de découvrir Pina Bausch et cet art de faire vivre un groupe joyeux dans une scénographie unique. Un fort souvenir pour moi est la découverte de Tadeusz Kantor au théâtre de Chaillot, puis lors du triste jour de sa mort au Centre Pompidou avec C’est mon anniversaire où les acteurs de sa compagnie avaient décidé de jouer malgré tout sans lui. Dans les années 90, j’ai suivi aussi assidûment de nombreuses créations du duo Jean Jourdheuil et Jean François Peyret et leurs aventures avec de grands scénographes comme Nicky Rieti, Titina Maselli, ou Gilles Aillaud. (Les sonnets (1989) de Shakespeare, De la Nature des choses (1990) de Lucrèce, ou avec Heiner Müller). On pourrait ensuite citer de nombreux spectacles de la Volksbühne (René Pollesch, Christoph Marthaler, ou Frank Castorf) mais surtout pour la puissance scénographique de Bert Neumann ou Anna Viebrock. J’ai eu de grandes émotions de spectateurs grâce aux scénographes. 

Quels sont vos souvenirs les plus intenses parmi tous les projets auxquels vous avez collaboré ?

Je crois que le plus intense est mon premier spectacle en 2003, La démangeaison des ailes, que j’ai conçu sans penser du tout faire ce métier mais plutôt comme un désir, en réunissant des amis et en travaillant dans un appartement. Le succès fut un peu magique lors des premières présentations à l’Usine Consortium de Dijon et à la Ménagerie de Verre à Paris, et la chance de connaître les premiers voyages en tournée à l’étranger à New York ou au Brésil. C’était vraiment des sensations folles et ceci nous a aussi permis de comprendre qu’on pouvait faire le tour du monde avec un spectacle ! Une autre forte sensation était la création Des Expériences en 2004, où nous avons joué en extérieur, dans le Parc de Barbirey-sur-Ouche, la nuit, avec une partie de la pièce où les acteurs nageaient dans un étang en silence. Il faisait très froid et pour les spectateurs présents ce soir là je pense que c’était presque irréel de voir un spectacle nocturne dans ce site sublime, entouré de canards sauvages, de ragondins et autres cris de chouettes…

Quelle expérience collaborative est la plus importante dans votre parcours ?

C’était lorsque j’avais une dizaine d’années, en créant un spectacle dans une grange dans le Lot, et en proposant à d’autres enfants des fermes voisines de participer. Et l’immense plaisir d’aller chanter des slogans dans les hameaux aux alentours pour chercher du public, avec un entonnoir en guise de porte voix.

À vos yeux, quels sont les enjeux du théâtre aujourd’hui ?

Les enjeux du théâtre aujourd’hui sont sans doute d’apprendre à mieux se défendre contre les demandes de rentabilité économique et les normes, pour rester un art qui se réinvente toujours. Ce ne sont pas des nouveaux enjeux mais ces dernières années en France avec « l’état d’urgence » et cette atmosphère du tout sécuritaire, les théâtres eux mêmes en tant que lieux, ont une mission nouvelle il me semble. Plus que jamais ils doivent être des espaces pour l’imagination, des lieux de rassemblement, des lieux d’échanges et de recherche, qui permettent de garder l’humain en éveil.

À vos yeux, quel rôle a un artiste dans la société aujourd’hui ?

Le rôle de l’artiste est de rester singulier pour proposer des chemins de traverse et d’autre façons de voir le monde, pour continuer de croire au pouvoir poétique, regarder différemment la vie sur terre et partager des utopies avec les spectateurs.

Photo © César Vayssié