Photo Leontien Allemeersc

Louis Vanhaverbeke, Mikado Remix

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 21 juin 2019

Artiste polyvalent, Louis Vanhaverbeke slalom habilement entre les disciplines, des arts plastiques au spoken words, en passant par la vidéo et la performance. Dans une société où la norme est toujours plus contraignante, sa dernière création Mikado Remix soulève la question de la normalité et des instances normatives. Mêlant un bric-à-brac d’objets et un ingénieux dispositif vidéo, le jeune flamand bricole une oeuvre protéiforme et inclassable, autant engagée que poétique. Entretien.

Vous avez fait une école d’arts plastiques avant de faire une école de danse. Comment négocient ces deux disciplines dans votre pratique ?

Ça n’a pas toujours été si évident. Lorsque j’étais étudiant en art, je faisais des installations avec des objets que je mettais en interaction. Avec la pratique, je me suis finalement rendu compte que mon intérêt se concentrait plus dans l’acte même de réaliser une installation que le dispositif en lui même, abandonné ensuite dans une galerie ou un musée. J’aimais avoir le rôle d’un opérateur, penser les actions d’assemblage, de déplacement, de mouvement… À l’école de danse, ça na pas toujours été simple de défendre ce type de travail. Mes professeurs me demandaient toujours de ’’faire de la danse’’ sans objets, juste avec mon corps, mais je n’y suis jamais arrivé. Aujourd’hui c’est toujours un peu la même histoire : j’essaie de faire de la danse, mais le public ne voit que le bazar sur la scène (rire).

Votre travail est un patchwork de plusieurs médias, assumant une esthétique très DIY à la Peter Fischli et David Weiss. Quel rapport entretenez-vous avec les objets ?

Le travail de Fischli et Weiss m’a en effet beaucoup influencé lorsque j’étais étudiant. Je fais en sorte que chacune de mes pratiques dialoguent de manière horizontale et se complémentent. Je travaille toujours de manière instinctive avec plusieurs médias à la fois, où tout s’imbrique, il faut imaginer ça comme un grand mikado. C’est donc très difficile pour moi d’analyser mon rapport particulier à l’objet. J’écris et je dessine toujours. Je n’aime pas travailler sur un ordinateur, je préfère la pratique à la théorie, j’aime travailler avec mes mains, bricoler, c’est comme ça que les idées me viennent. En période de création, il y a énormément d’objets utilitaires en tout genre qui traînent dans l’atelier et je les manipule de manière empirique. Comme Duchamp, j’aime le concept du ready made, que les objets me trouvent. J’ai conscience de cette esthétique bricolée, mais je ne m’intéresse pas à produire une quelconque beauté. Néanmoins, derrière cette apparence low cost, je dois aussi négocier avec de nombreuses questions techniques inhérentes aux besoins de la tournée, comme commander des câbles spéciaux hors de prix ou du matériel électronique à l‘autre bout de la planète.

Votre précédent solo Multiverse se concluait par un rap dédié à un objet : une petite boîte qui symbolisait les maux et les doutes qui vous habitent. Cette «boîte» se retrouve désormais à taille humaine dans Mikado Remix .

Cette image de boîte fonctionne aussi bien comme métaphore du « moi » que celle de « la cage ». Notre société est construite sur le principe de boîtes. Les structures et les cadres divisent, dirigent et protègent. Nos corps peuvent aussi être regardés comme une boîte, séparés des autres, faisant face à leurs propres individualités. Multiverse traversait déjà en filigrane cette idée, notamment avec la figure du cercle, l’action de toujours tourner sur soi-même… Si dans Multiverse je pouvais m’asseoir sur cette boîte, dans Mikado Remix, elle occupe désormais tout le plateau. J’essaie de regarder et de rentrer à l’intérieur de ma propre boîte, d’en faire surgir des émotions qui m’habitent : la colère, le défis, la peur, l’étrangeté, la paranoïa, la claustrophobie…

Envisagez-vous votre travail comme une manière de conjurer vos propres peurs ?

Il y a en effet de nombreuses luttes intimes qui infusent dans mon travail. Je pense que tous les artistes et toutes les œuvres d’art en comportent. Mais le travail consiste à rendre cet effort visible, pas l’émotion par laquelle je suis guidé. Je pense que nous sommes tous confrontés au désir d’appartenance, à la peur d’être exclus. La question la plus cherchée sur Google est : Comment être normal ? Cela soulève aussi la question : en quoi est-ce que je crois/nous croyons ? Personnellement, j’ai longtemps lutté contre ces doutes, et je pense que les gens peuvent aussi sentir ces questions affleurer dans mon travail. Avec du recul, je peux dire que tous mes projets sont en quelque sorte des manifestes, pour moi la création est une explosion de différentes choses, contre lesquelles je m’inscris, ou que j’aime. C’est cette dualité qui me motive à travailler. Je suis beaucoup plus créatif lorsque je suis fâché contre quelque chose.

Votre colère, vos questionnements, trouvent une certaine forme de purge dans l’écriture et le rap. Comment cette pratique fait-elle écho à votre travail physique ?

Pour moi le rap est le genre musical le plus simple pour transmettre de manière brute une idée ou une émotion. Dans mon travail chorégraphique, les mots et la voix sont autant des outils que mon propre corps. Concrètement, la musique est un ensemble de vibrations, d’harmonies, de sons qui se répètent à différentes tonalités… Et mon corps est réellement sensibles aux vibrations. Je pense réellement la musique comme une pratique physique, je travaille le flux des mots, la mélodie, le rythme, je fais du beat box… Je considère la voix comme une projection, comme un mouvement qui jaillit du corps. Les mots, les répétitions d’un mouvement ou une collection d’objets : tout s’influence et s’affecte mutuellement dans la logique d’un art total.

Mikado Remix, de et avec Louis Vanhaverbeke. Dramaturgie Dries Douibi. Vidéo Freek Willems. Création lumière et sonore Bart Huybrechts. Technique Philippe Digneffe et Simon Van den Abeele. Photo © Leontien Allemeersch.

Le 21 et 22 juin au Nouveau Théâtre de Montreuil dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.