Photo Rodrigo Garcia legende

Rodrigo Garcia « Mon travail, c’est de faire de la poésie avec la matière qui m‘intéresse et je fais usage de ma liberté. »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 23 janvier 2015

Aujourd’hui directeur du Théâtre Humain trop humain Centre Dramatique National de Montpellier, Rodrigo García est l’une des plus grandes figures du théâtre espagnol. Le metteur en scène reprend en ce début d’année trois pièces de son répertoire en Île-de-France : Et balancez mes cendres sur Mickey, du 28 janvier au 15 février au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, Daisy du 3 au 8 mars au Théâtre du Rond-Point à Paris et Accident + Flame à la Ménagerie de Verre à Paris du 14 au 18 avril dans le cadre du Festival Etrange Cargo.

Et balancez mes cendres sur Mickey a été créé en 2006. En parlant de votre travail, vous avez dit « Ce sont des pièces urgentes. Elles sont montées trop vite. Et il doit en être ainsi. » Quel est l’enjeu aujourd’hui de représenter une pièce créée il y a huit ans ?

Je dirige le CDN avec très peu de moyens économiques. Nous disposons de peu d’argent pour programmer. Nous disposons de peu de moyens pour développer les activités qui me plaisent en plus de la programmation. C’est pour cela que nous pensons reprendre plusieurs de mes pièces à coût zéro. Ce qui permettrait d’avoir des rentrées d’argent pour le CDN, et pour le public de Montpellier de mieux me connaître, de mieux connaître le plus grand théâtre de la ville de Montpellier et celui qui le dirige. Je n’ai pas choisi Mickey au hasard. J’aurais pu refaire certaines œuvres mais je m’y suis refusé. C’est le cas pour L’Histoire de Ronald le clown de McDonalds. J’ai eu l’intuition que Mickey serait aujourd’hui aussi actuel que lorsqu’il a été créé. Et à en croire l’écho qui nous revient, il semblerait que je ne me suis pas trompé.

Qu’est-ce qui vous a motivé à l’époque dans l’écriture de cette pièce ? Est-ce que ça a changé aujourd’hui ?

La pièce propose un univers fictif… mais c’est une science-fiction qui se fonde sur les choses du quotidien, lesquelles, si on les regarde à posteriori, paraissent si idiotes et absurdes qu’elles semblent faire partie d’un récit de science-fiction. On y parle de la consommation mais d’une façon disparate, où les commerces décrits sont si indéfinis que, comme dit l’un des acteurs, « aujourd’hui, je suis entré dans un de ces commerces et je n’ai pas su si je devais commander un dry Martini ou m’acheter une paire de chaussettes de sport ». En huit ans, ce qui s’est passé, c’est que cette stupidité n’a fait que croître. Et la pièce est donc encore plus d’actualité. Les objets de consommation absurdes tels que la cigarette électronique ou dans la même veine l’iPhone pour se faire des selfies prolifèrent… Ensuite, il est vrai que la pièce propose des moments de poésie immuables au-delà du temps qui passe.

Un des axes du projet de la Commune de Marie-José Malis est « Quel théâtre, et adressé à qui? » À qui s’adresse Et balancez mes cendres sur Mickey?

Je ne sais pas à qui pense Marie José Malis. Je sais que le théâtre est un acte minoritaire et que la société n’a pas besoin du théâtre. Il n’y a qu’une minorité qui a besoin du théâtre, dans laquelle je m’inclue. Avouer cela est une aberration. Et que le dise un directeur de théâtre, c’est une aberration. Mais je suis fatigué d’entendre que le théâtre est très important alors que c’est évident qu’il ne l’est pas, ni pour les paysans, ni pour les chauffeurs de taxi, ni pour les ouvriers, ni pour les boulangers, ni pour plus de 95% de la population. Alors pourquoi faisons-nous du théâtre? Dans mon cas, parce que je ne peux pas m’en empêcher, parce que moi aussi j’ai des rêves, et je rêve que l’art et l’expérience esthétique, nous font grandir. Qui du quartier de la Commune d’Aubervilliers vont voir la pièce? Je n’ai vu aucun des milliers d’immigrants qui peuplent ce quartier. J’ai seulement vu des gens qui ont l’habitude d’aller au théâtre et qui viennent probablement du centre de Paris. C’est la réalité et la nier, c’est idiot, car ça ne nous fait pas avancer. Si nous n’assumons pas le problème, nous ne pourrons pas le résoudre. Dans le quartier d’Aubervilliers, les noirs et les arabes sont hors du théâtre et les blancs à l’intérieur.

Chacune de vos pièces suscitent de vives polémiques et Mickey ne déroge pas à la règle. À sa création, vous avez été menacé de procès par le parc Euro Disney et une séquence où une jeune femme se fait tondre la tête à provoquer de nombreux débats.

Euro Disney m’a dit que si je ne changeais pas le titre de ma pièce, ils allaient m’attaquer en justice. Un avocat nous a expliqué de façon laconique : tu peux t’embrouiller avec Mc Donald, ou Ikea mais pas avec Euro Disney. J’ai alors compris que les plus salauds de tous, ce sont ceux qui font les dessins animés pour enfants, ceux qui éduquent nos enfants. La fille que nous rasons sur scène aussi fait l’objet de débat, effectivement. Je ne comprends pas pourquoi. Mon travail, c’est de faire de la poésie avec la matière qui m‘intéresse et je fais usage de ma liberté. La fille qui se fait couper les cheveux fait aussi usage de sa liberté. Personne ne l’a obligée à se couper les cheveux. Nombreux sont ceux qui souhaitent que, nous les artistes, nous fassions ce qui est correct, beaucoup de gens ont peur. J’en ai marre de ces personnes qui ont peur de vivre et de découvrir des choses si intenses qui pourraient les terrasser. Ils ont peur que leurs valeurs s’écroulent. Moi, je leur dis de ne pas venir au théâtre et c’est tout : qu’ils regardent Disney à la télé.

Vous êtes depuis le 1er janvier 2014 le nouveau directeur du CDN Languedoc-Roussillon Montpellier que vous renommez « Humain trop humain ». Pourquoi ce nom de baptême?

Le nom devait être le reflet de mes intentions et de celles de la nouvelle équipe qui a pris la direction du CDN. Nous avons évoqué de nombreuses options mais c’est la phrase de Nietzsche qui est restée. Je pense qu’appeler un Théâtre humain trop humain, c’est ce qui pouvait arriver de mieux à un théâtre. De mieux.

Photo de Marc Ginot.