Photo STAND UP Dominique Gilliot 16.05.15@Hervé Véronèse Centre Pompidou

Dominique Gilliot « L’artiste est un révélateur »

Propos recueillis par François Maurisse

Publié le 25 juillet 2017

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figure établie ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêté au jeu des questions réponses. Ici, l’artiste Dominique Gilliot.

Après une formation en arts-plastiques, Dominique Gilliot s’est naturellement dirigée vers les pratiques performatives. En solo, Dominique Gilliot a été invitée à créer des performances dans différents centres d’art, Bétonsalon, le FRAC Ile-de-France, ou encore au Centre Pompidou. Depuis 2010, elle collabore avec la danseuse Maéva Cunci à la création de spectacles pluridisciplinaires, décalés et sensibles, à l’image de La représentation de trop (2014), ou encore de Un Lapin Un Rideau (2016) présenté cette saison à l’Arsenic à Lausanne et au Théâtre de Vanves dans le cadre du festival Ardanthé.

Quel est votre premier souvenir de théâtre ? 

Je me souviens d’un concert d’orgue Hammond, que j’avais trouvé très spectaculaire, à l’école maternelle. J’avais l’impression que j’étais la seule à être aussi fascinée, et à avoir maintenu l’attention aussi longtemps. Je me souviens que le musicien était très concentré et assez peu conscient du public que nous constituions. Il devait se dire que c’était comme une journée de répétition payée. Mais curieusement, il y avait quand même beaucoup de générosité qui filtrait, et nous étions comme un tremplin vers un autre public que l’organiste visait à travers nous. Ce souvenir est tellement onirique et vaporeux que parfois je me demande si ça a vraiment eu lieu, il y avait quelque chose de complètement surnaturel. Et puis, j’ai le souvenir d’avoir interprété une saynète à l’école primaire. Je jouais un voleur qui se faisait frapper (oui c’était violent), et je me souviens que la classe avait eu une réaction étrange, un éclat de rire commun, bref et très intense devant mon interprétation du voleur qui se faisait frapper. Ça m’avait d’abord beaucoup surprise, sentiment immédiatement suivi d’un sentiment de satisfaction que je n’avais pas ressenti avant.

Quels sont les spectacles qui vous ont le plus marquée en tant que spectatrice ? 

La première chose qui me vient en tête, c’est une pièce de groupe, assez hypnotique que j’ai vue au centre Pompidou au début des années 2000, avec beaucoup de danseurs. Peut-être 100 ou 150 personnes sur scène, c’était très impressionnant. Il devait y avoir des leaders qui imprimaient des mouvements qui étaient ensuite repris par un grand nombre de danseurs. Il y avait beaucoup de mouvements s’apparentant à la marche, et cela finissait par produire un effet de vague. Ensuite, il y a eu le moment où je suis arrivée aux Beaux-Arts de Cergy-Pontoise, et là j’ai découvert Grand Magasin, Philippe Quesne, avec un parallèle vers un duo qui commençait à faire des choses très chouettes à Lille, où j’avais vécu mes années d’université : Antoine Defoort et Halory Goerger. Je m’étais sentie très en connivence avec &&&&& & &&&, comme un spectacle que j’aurais pu faire si j’avais le courage de me coltiner tout un tas de contraintes techniques, c’était brillant et drôle. Une petite mécanique poétique. Plus récemment, et dans un registre très différent, j’ai découvert le travail de Marlène Monteiro Freitas, De Marfim e Carne, et j’ai été complètement éblouie (non le mot n’est pas trop fort), c’est une pièce très étonnante, à l’esthétique de travers, et qui charrie tellement d’électricité, une espèce d’élan vital presque palpable, qui finit par vous électriser. Je me souviens d’y être allée en état de grande fatigue, morte, comme on dit, et d’en être sortie tellement vivante et avec beaucoup de désir, c’était très étonnant.

Quel est votre souvenir le plus intense en tant qu’interprète ?

Peut être ce truc de voleur qui se fait frapper, d’abord. Je n’y avais pas pensé depuis longtemps, cette interview, c’est l’occasion…. Sinon, je dois avouer que je n’ai pas une expérience d’interprète pléthorique. Donc, droit au but : j’ai joué dans une pièce d’Halory Goerger qui s’appelle Corps Diplomatique, et j’étais d’abord rassurée par le fait que je savais qu’Halory nous invitait pour jouer dans un registre qu’il nous savait pouvoir maitriser. Mais au cours de la création, il nous a graduellement laissé entendre qu’il voulait qu’à un moment dans la pièce nous jouions des étapes de la vie allant de la pré- à l’immédiate post adolescence. Et moi j’étais en charge de l’ado particulièrement révolté. Je suis vraiment passé par des phases de gros doutes quant à ma capacité à endosser le rôle, mais Halory avait l’air tellement sûr que ça ne poserait pas problème…Maintenant, je trouve ça tellement jouissif de jouer cet ado…

Quelle rencontre artistique a été la plus importante dans votre parcours ? 

Il y en a beaucoup. J’aurais du mal à en isoler une et à lui donner ainsi une importance qui oblitérerait le fait que c’est surtout un immense puzzle, ou plutôt une constellation. Je dirais, en terme de rencontre, Oscarine Bosquet, qui était ma professeur aux Beaux-Arts de Tourcoing, qui m’a beaucoup appris, surtout que c’était possible, voire salutaire de se construire sur des doutes, de poser des questions davantage que de vouloir à toutes forces trouver absolument la réponse. Valérie Mréjen, que j’ai rencontré à peu près à la même époque, alors qu’elle travaillait sur un film au Fresnoy. J’aime beaucoup son travail d’analyse des rapports humains sans avoir l’air d’y toucher. Elle a beaucoup d’humour, et ça se sent évidemment dans sa production mais ce n’est pas un humour show-off, c’est un humour modeste. Comme elle, en fait. Benoit Forgeard. Humour encore, mais décalage total, folie douce non-stop. Blague permanente. Grande classe. Moustache. Louise Hervé et Chloé Maillet, un duo de performeuses qui étaient avec moi aux Beaux Arts de Cergy, et avec qui j’ai collaboré sur quelques projets. C’est un univers très particulier, très poétique et très drôle. Loïc Touzé, avec qui j’ai fait un workshop aux Laboratoires d’Aubervilliers au sortir des Beaux-Arts, et dont certaines réflexions me reviennent encore maintenant. C’est quelqu’un qui est très attentif, très accueillant de l’autre. Maeva Cunci, évidemment avec qui j’ai fait deux spectacles, et avec qui j’ai beaucoup appris sur la manière dont je pouvais collaborer avec quelqu’un. Et bien sûr Halory Goerger, pour qui je suis interprète. Je viens aussi de commencer à collaborer avec un musicien-performer qui s’appelle Antoine Pesle, et je sens que ça va être important.

Quelles œuvres chorégraphiques composent votre panthéon personnel ?

Je n’ai malheureusement pas une culture chorégraphique très étendue, je vais me réfugier derrière mes origines de plasticienne, mais donc, elles sont souvent liées à un contexte. Par exemple je dirais Trio A d’Yvonne Rainer, découvert grâce à Loïc Touzé lors de ce fameux workshop. Loïc nous avait demandé d’écrire sur ce qu’on voyait, et pour moi c’était comme un langage inconnu, cette danse, une suite de propositions logiques, qui faisait forcément sens. Je ne sais plus exactement ce que j’avais écrit, mais j’avais l’impression de déchiffrer la pierre de Rosette.

Quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Encore une fois, je ne suis pas la mieux placée pour en parler, j’ai l’impression qu’après avoir voyagé sur des terres ou la virtuosité n’était pas un pré-requis, et avoir à nouveau développé des formes plus apolliniennes, on pourrait se dire que l’un n’exclue pas l’autre, voire même le révèle, comme César Vayssié, le met en œuvre dans ses duos avec des danseurs réputés « techniques ».

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

Hum, j’ai toujours du mal à me prononcer sur ce genre de questions. Je pourrais botter en touche en disant qu’être artiste c’est un rôle en soi, et qu’il ne faut pas chercher plus loin. Si on considère qu’il faut déterminer absolument une utilité extrinsèque, ça veut aussi dire qu’on admet que faire de l’art ça ne se suffit pas en soi. Il y a évidemment des effets collatéraux. Comme quand on est médecin, il se trouve qu’on parvient parfois à sauver des vies. Alors disons qu’un artiste, c’est un révélateur. Il peut servir à prendre conscience de la façon dont les choses fonctionnent, ce qui peut aider à les déconstruire pour mieux les reconstruire, faire en sorte que les mécaniques humaines fonctionnent mieux. Il peut aussi, à l’inverse, ouvrir des champs d’imaginaires qui permettent de s’extraire de la réalité, créer des effets de conscience altérée, comme une drogue très bonne pour la santé. En tous cas, j’ai l’impression que le volontarisme visant à servir à quelque chose absolument, à avoir un rôle dans la société peut être contre-productif et mener à des projets caricaturaux ou démagogiques. J’ai envie de dire que si l’effet dépasse le cercle immédiatement artistique, tant mieux. Et tant mieux si la volonté de le faire porte ses fruits, c’est très beau quand on arrive là où on voulait aller, mais si cela devient le cœur du désir de production, je ne sais pas, j’ai l’impression que c’est comme si un médecin refusait, parce qu’il voulait uniquement sauver des vies, de soigner les mycoses. (Oui, je sais, j’aurais pu finir sur quelque chose d’un peu plus heureux, comme image.)

Photo @ Hervé Véronèse / Centre Pompidou