Photo ©Olivier Roller

Daniel Jeanneteau « Le théâtre est l’un des lieux où la société se pense et s’éprouve »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 15 août 2018

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en donnant la parole à des artistes. Après avoir publié l’été dernier une première série d’entretiens-portraits, nous renouvelons ce rendez-vous estival avec de nouveaux artistes qui se sont prêtés au jeu des questions réponses. Ici, Daniel Jeanneteau.

Scénographe et metteur en scène, Daniel Jeanneteau a été à la tête du Studio-Théâtre de Vitry de 2008 à 2016. Il est aujourd’hui directeur du T2G – Théâtre de Gennevilliers. Cette saison, il y a présenté deux re-créations : La Ménagerie de verre et Déjà la nuit tombait (fragments de l’Iliade) dans le cadre de ManiFeste, festival de l’IRCAM. Créé en novembre dernier à l’Opéra de Lille, sa mise en scène du Nain d’Alexander Zemlinsky sera présenté au Théâtre de Caen l’hiver prochain.

Quels sont vos premiers souvenirs de théâtre ?

La télévision. Au théâtre ce soir, bien sûr, avec le plaisir des trois coups, du rideau, des portes qui claquent. Jacqueline Maillan. Puis cela a été les Shakespeare de la Royal Shakespeare Company, toujours à la télévision sur FR3, en noir et blanc, arides, longs. Je ne sais pas pourquoi, une fascination. Le théâtre, je l’ai découvert de loin.

Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de devenir metteur en scène ?

Enfant je dessinais des espaces sans personnages. Les corps dans mes espaces sont venus de l’extérieur, par la vie, les rencontres. Faire des spectacles me complète.

En tant que metteur en scène, quelle(s) théâtre(s) voulez-vous défendre ?

Un théâtre qui trouble. Je ne vois rien de mieux que cette définition de Diderot à propos de l’art du poète dramatique : « Il est une impression que vous concevrez si vous êtes nés pour votre art et si vous en pressentez toute la magie : c’est de mettre un peuple comme à la gêne. Alors les esprits seront troublés, incertains, flottants, éperdus, et vos spectateurs tels que ceux qui dans les tremblements d’une partie du globe, voient les murs de leurs maisons vaciller, et sentent la terre se dérober sous leurs pieds. »

En tant que spectateur, qu’attendez-vous du théâtre ?

Qu’il me fasse quelque chose. Il ne s’agit pas d’une activité professionnelle comme une autre, il ne suffit pas de faire le comédien ou de bien mettre en scène. Il faut aussi agir sur le réel. Trop de spectacles nous laisse indemnes, c’est d’ailleurs, d’une certaine façon, l’une des clés du succès facilement acquis : bien faire sans gêner.

À vos yeux, quels sont les enjeux du théâtre aujourd’hui ?

En tant qu’espace de la vie publique, qu’il réinvente sa fonction. En tant qu’espace de création, qu’il produise des œuvres. Deux enjeux aujourd’hui cruciaux.

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

Rester libre. Quoi dire d’autre ? Le monde, tel qu’il se referme sur son angoisse sécuritaire, a plus que jamais besoin d’esprits indépendants, de fous, d’inadaptés, de visionnaires… c’est à dire de personnes qui n’obéissent pas.

Comment pensez-vous la place du théâtre dans l’avenir ?

La place du théâtre n’a cessé de changer tout au long de l’histoire, et elle changera encore. Nous vivons aujourd’hui sur l’héritage de la décentralisation qui est en train de s’épuiser sérieusement. On l’a parfois vu dans le passé, le théâtre peut être l’un des lieux où la société se pense et s’éprouve, où le présent s’invente. Il ne survivra, sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui, que s’il parvient à assumer cette fonction, c’est à dire en se pensant lui-même, en tant qu’établissement, comme projet de société. Cela induit beaucoup de remises en question.

Photo © Olivier Roller