Photo Photo © François Deladerrière

Cyril Teste « Le monde du travail me semble un sujet brûlant actuellement »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 2 août 2016

Avec Nobody, Cyril Teste et le collectif d’acteurs La Carte Blanche proposent une performance filmique – jouée, filmée, montée et diffusée en direct – d’après une relecture de textes du dramaturge Falk Richter. Une vingtaine de comédiens et de techniciens évoluent au sein d’un plateau où dialogue une projection vidéo et une architecture open-space claustrophobique. Après une grande tournée cette saison, la pièce s’apprête à reprendre les routes de France à la rentrée.

Qu’est-ce qui vous a poussé à reprendre cette pièce créée au festival du Printemps des Comédiens en 2013 ? Comment la mise en scène a-t-elle évolué depuis sa première création ?

C’est avant tout la magnifique rencontre avec le collectif la Carte Blanche que nous avons voulu pérenniser. D’autre part le sujet sur « le monde du travail » me semble un sujet brûlant actuellement, complexe et qui demande un temps d’observation plus long si l’on veut l’éclairer autrement. Dans la première version nous avons travaillé en décors naturel, à savoir dans de réels bureaux. Dans cette version les comédiens étaient particulièrement présents à l’écran. La seconde version est une version plateau où le théâtre reprend ses droits. Dans cette version le hors-champ est plus présent et apporte des lectures de la pièce différentes sinon plus riches par moment.

Ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec des textes de l’auteur Falk Richter, pourquoi et comment avez-vous choisi les matières qui composent Nobody ?

Dans un premier temps nous avons lu, écouté les mots de Richter, en parcourant tout son répertoire afin d’en comprendre les mécanismes, comme on apprend une langue étrangère pour atteindre ce miracle séculier d’arriver à en faire une langue qui serait la nôtre. Alors nous pouvions réutiliser ses mots, les scènes pour raconter l’histoire de Jean, héros cynique noyé dans les méandres de la restructuration, participant actif de l’éviction des autres et acteur également, de sa propre déchéance, l’histoire de Nobody.

Comment s’est organisée la mise en chantier du spectacle ?

La méthode de travail s’est révélée être celle d’un puzzle dont nous empruntions les pièces à Falk Richter. La collaboration d’Anne Monfort a été d’une aide précieuse pour la décortication de son oeuvre. Faisant des aller-retours entre textes et improvisations des comédiens, nous découpions petit à petit les éléments qui allaient construire la fable. Nous avons sélectionné une centaine d’extraits qui pouvaient possiblement participer à l’histoire. Le scénario ciblait le choix des textes, les textes influençaient la tournure du scénario. Sous la glace a été, entre autres, le gouvernail de notre séquencier. À l’instar des scénaristes, nous avons donc d’abord bâti un canevas et les figures dramatiques qui le composeraient, puis nous avons introduit d’autres textes de Richter qui ont contrasté, rendu plus complexes et réels les rapports entre les personnages.

Pour revenir sur la question du hors-champ, comment le dispositif scénique (l’équipe de tournage à vue) participe à la nouvelle dramaturgie de la mise en scène ?

Le projet de cette nouvelle mise en scène est de rendre le hors-champ aussi présent que le cadre. La narration se dédouble pour donner une lecture du texte plus forte. Tout est à vue, les acteurs jouent en permanence pendant 1 h 30, la caméra se déplace pour saisir au passage des instants de vie pris dans l’élan d’un plan séquence. La nouvelle mise en scène travaille sur une temporalité plus contemplative afin d’observer avec calme et précision notre sujet.

Nobody soulève de nombreuses questions sur notre société contemporaine. Peut-ont voir cette pièce comme une œuvre politique et engagée ?

Je pense qu’à travers Nobody nous essayons d’observer un système dans lequel nous sommes. Nous ne voulons pas montrer du doigt ce système mais plutôt révéler comment nous évoluons à l’intérieur. Une pièce politique est une pièce qui observe un sujet, un thème, un système avant de vouloir systématiquement le critiquer. La critique passe par l’écoute et l’observation, sans jugement premier ou dénonciation. Un geste qui ne se veut pas prévisible. Par là nous pouvons révéler des aberrations d’un système, en essayant au mieux de rester le plus ouvert et le plus précis possible. Être engagé demande du travail et de la l’écoute collective dans le processus de création. J’espère la pièce politique et notre processus de travail engagé !

D’après les textes de Falk Richter. Mise en scène Cyril Teste, avec le collectif d’acteurs La Carte Blanche. Lumières Julien Boizard. Cadreur Christophe Gaultier. Musique Nihil Bordures. Photo © François Deladerrière.