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COVER de Elsa Michaud & Gabriel Gauthier : Un spectre de spectacle hanté par ceux des autres

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 4 avril 2018

Sans pour autant utiliser des citations chorégraphiques identifiables ni revendiquer une quelconque appartenance esthétique, rares sont les œuvres contemporaines qui ne s’inscrivent pas dans une histoire référentielle du spectacle vivant. Elsa Michaud et Gabriel Gauthier assument pleinement cette notion d’héritage et sollicitent cette mémoire à vif dans leur duo COVER, collection de samples/citations de spectacles qui ont fait l’actualité de ces derniers mois, resurgissant sous forme de débris gestuels et de postures érodées. Programmé dans le cadre de la nouvelle édition du festival Étrange Cargo de la Ménagerie de verre, le jeune duo a accepté de répondre à nos questions.

Quel regard portez-vous – en tant qu’artiste – sur l’Histoire de la danse ?

La danse, et plus généralement tout le spectacle vivant, avant de la faire, nous essayons d’aller la voir le plus possible. Aussi nous ne portons sur son Histoire ni plus ni moins qu’un regard de spectateurs. En tant qu’artistes, on tente de créer des liens entre les formes qu’on a vues, mais aussi celles qu’on a manquées ou qu’on ne pourra jamais voir. En ce sens, on aime considérer une programmation, un festival – celui d’Etrange Cargo par exemple – comme un unique grand spectacle, découpé en plusieurs épisodes et débarrassé de la notion de créateur. Du coup, la question d’avoir aimé ou non ce qu’on a vu devient secondaire.

Comment la notion d’histoire s’infiltre-t-elle dans COVER ?

Dans COVER, c’est aux formes et aux idées de nos contemporains que l’on s’intéresse, c’est à dire à ce qui n’appartient pas encore à l’Histoire de la danse : l’art dit « vivant ». Cette idée a commencé à poindre dans cette zone étrange et floue de l’après spectacle. On voyait souvent des spectateurs refaire des gestes du spectacle auquel ils venaient d’assister, ou du moins tenter de le mimer, en en proposant une version logotypée. On trouvait ça très fort qu’au beau milieu d’une discussion le corps prenne soudain le dessus sur la parole pour la prolonger : « Attends je vais te montrer comment c’était, tu vas comprendre ». C’est devenu pour nous un exercice après chaque spectacle : échanger ce qu’il s’était passé sur scène, en réduisant toute l’action à des postures simples pour en fixer le souvenir. Bien sûr, on fait aussi le même exercice avec les spectacles qu’on a pas vu. On appelle ces formes des impostures : ce sont des représentations fantasmées, modélisées, de situations qui existent déjà. Nos gestes sont spéculatifs, on travaille sur des sensations de déjà-vu et en même temps d’étrangeté, comme si on avait superposé plusieurs états de présence au même endroit.

L’appropriation est toujours ambivalente, entre filiation et désir d’émancipation. « Dansez »-vous avec ou contre les fantômes ?

On se situe plutôt dans un désir de présenter autrement des choses qui existent déjà. C’est à dire entraîner d’autres arrangements, d’autres valeurs, à partir d’un même lot d’images qui ne sont pas les nôtres. Donc c’est carrément pour les fantômes que l’on danse et les multiples formes qu’ils prennent. Avec COVER, on essaye de faire un spectacle qui cède l’espace à tous les autres, avec cette envie que le spectateur y projette son histoire personnelle du spectacle vivant. Pour filer votre métaphore du fantôme, COVER serait comme un spectre de spectacle hanté par ceux des autres.

Quels ont été vos méthodes de travail ? Comment avez-vous invoqué ces fantômes ?

On a travaillé avec très peu de matériel. D’abord notre mémoire. Et parfois quelques flyers ou descriptifs de spectacles. Des interviews d’artistes aussi. S’il n’y a pas d’échange après un spectacle, au delà de l’inévitable « Alors ça t’a plu ? », son souvenir disparaît très vite. Il faut refaire le déroulé. Une espèce de coryphée post-évènementiel qui raconte ce qui vient pourtant d’avoir lieu. Évidemment cette mémoire nous trahit toujours et c’est bien ce qui nous intéressait aussi. Fabriquer des images avec des souvenirs qui finalement ne correspondent plus à l’objet initial. Comme COVER avance au fil des spectacles que l’on voit, il y a donc des éléments très récents et d’autres moins. C’est une performance qui se transforme avec le temps.

Coté musique, vous collaborez avec les compositeurs Aviat & Orly, qui signent également une « cover », une reprise…

Pendant longtemps on a répété sans musique dans le vide du Off de la Ménagerie. Puis en décembre, on est allé voir Crowd de Gisèle Vienne. Le spectacle s’ouvre sur un extrait d’un morceau de Manuel Gottsching qui était tellement bien qu’il aurait pu continuer comme ça une heure. Lorsque nous l’avons trouvé sur internet, il durait effectivement une heure. On a donc répété sur ce morceau d’une heure, tout en lui cherchant un équivalent parce qu’on ne voulait pas faire une citation aussi évidente. Jusqu’à réaliser fin janvier que l’idéal serait une cover de ce morceau. Persuadés qu’il était déjà trop tard, on a demandé à Pierre Aviat (Avia) et David Leroy (Orly) s’ils auraient le temps de composer un titre d’une heure. Ils l’ont fait en moins de deux mois. On vient de recevoir la version finale, et maintenant on préfère la cover à l’originale…

De et avec Elsa Michaud et Gabriel Gauthier, et des caméos d’invités. Musique Avia X Orly. T-shirts Claude Closky. Photo © César Vayssié. 

Les 6 et 7 avril, à la Ménagerie de verre / Etrange Cargo