Photo Photo © Yann Peucat

Collectif FAIR[E] « La direction d’un CCN est une course de fond qui se vit à la vitesse d’un sprint »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 4 juillet 2019

Les Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN) sont des institutions culturelles françaises créées au début des années 1980. Ces lieux dédiés à la danse, dont les missions comprennent création, diffusion et transmission sont dirigés par des artistes. Le projet de chacun des 19 CCN du territoire est sans nul doute le reflet d’une ligne de conduite transversale, mêlant préoccupations esthétiques, sociales, curatoriales et politiques. Plusieurs de ces chorégraphes-directeur.trice.s se sont prêté.e.s au jeu des questions réponses. Ici le collectif FAIR[E], composé de Bouside Aït-Atmane, Iffra Dia, Johanna Faye, Céline Gallet, Linda Hayford, Saïdo Lehlouh, Marion Poupinet et Ousmane Sy, à la direction du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne depuis le 1er janvier 2019.

Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre la direction du CCN de Rennes ?

La candidature est née d’une utopie. Il s’agissait pour nous de décaler nos regards, rectifier notre posture, sortir de nos évidences pour rendre évident ce que nous sommes : un collectif, une équipe, qui se nourrit des contrastes esthétiques, des divergences et qui met en valeur l’autodidactie que revêtent nos parcours. Un collectif qui, riche de la diversité des profils qui le compose, lie institution et underground et a exploré à peu près tous les recoins du globe pour partager sa passion : la danse. Et se retrouve, aujourd’hui, au service d’un seul et même projet, enrichit par la dynamique collective fondamentale qui nous lie. Somme toute, un collectif décidé à faire vivre l’utopie initiée par Boris Charmatz qui, en faisant du CCNRB un endroit rayonnant, propice à l’expérimentation artistique, nous encourage aujourd’hui à prendre le relai.

Quels sont les plus grands défis lorsqu’on dirige un CCN ?

La direction d’un CCN est une course de fond qui se vit à la vitesse d’un sprint. Il faut trouver un équilibre entre l’enjeu du projet, qui fait sa force et sa spécificité, et le cadre dans le lequel il se déploie, à savoir une institution culturelle labellisée. Nous estimons aujourd’hui qu’il est nécessaire de réinventer nos métiers, d’interroger intrinsèquement le rapport que chacun s’en fait et de permettre la prise en compte de l’apport de tous au sein d’un projet. Nous réfléchissons de manière horizontale, non pour minimiser la place qui est propre à chacun, mais plutôt pour la renforcer, la sécuriser et la valoriser de manière égalitaire et juste. Ce qui nous anime dans cette répartition des rôles et des responsabilités, est cette volonté d’impulser un projet artistique global.

Quelles sont les particularités de votre CCN ? Quelles sont ses ambitions ?

Notre particularité s’incarne dans le collectif. Un collectif qui impulse une direction artistique, lui-même composé de 6 entités artistiques. Un collectif qui se met au service d’un projet commun, en favorisant la synergie des compétences de chacun.e. Un collectif qui porte un projet spécifique et propice à l’expérimentation au service de la danse. Nous proposons de façonner un lieu d’invention chorégraphique qui orchestre dans un même mouvement création, diffusion, accompagnement et transmission. Nous voulons défendre un projet exigeant et ambitieux en matière de création, ancré dans un territoire et ouvert sur le monde. Le CCNRB s’inscrit comme un lieu d’expérimentation pour les nouvelles formes artistiques croisant la danse et les autres disciplines, qui propose à toutes et tous une immersion artistique et défend le mélange des publics et des pratiques, dans ou hors ses murs. 

Sur le plan artistique, quelles dynamiques souhaitez-vous donner à votre CCN ?

Nous envisageons un lieu qui circule entre la marge et le centre pour mieux appréhender les besoins du territoire et de la jeune création. L’objectif est de promouvoir la coopération entre les artistes pour parvenir à une production artistique et culturelle qui met en lumière une diversité d’esthétiques et de pratiques. Le projet s’inscrit autour d’une aventure plurielle, forte, émancipatrice, génératrice de savoir-faire et savoir-être. Nous faisons la part belle aux artistes émergent·e·s et souhaitons initier, produire et accompagner des projets de qualité et s’attacher à défendre au mieux le développement et la diffusion des œuvres d’auteurs en devenir.

Selon vous, quelles sont les principaux changements que l’institution CCN a connu depuis sa création dans les années 1980 ?

Là où les années 80 ont confirmé la reconnaissance de la danse comme champ d’exploration, de création et de futur désirable à part entière (la création du label est, en un sens, une reconnaissance indéniable et importante pour la danse), ont suivi une, voire deux décennies, pendant lesquelles l’enjeu était le rayonnement d’un artiste en dehors de « son lieu », dans les réseaux dédiés, à l’échelle nationale et internationale, avec des moyens de production essentiellement ciblés sur le projet artistique. Aujourd’hui, les cahiers des charges se sont enrichis, élargis, avec un désir de la part des collectivités territoriales de voir les établissements s’ouvrir, de favoriser la proximité et la rencontre avec les publics. La mutualisation de l’outil, la formation professionnelle, l’action artistique et culturelle, le soutien aux initiatives locales, l’inscription du projet artistique dans un écosystème solidaire et vertueux tendent à faire partie des nouvelles missions des CCN.

Quels enjeux de la danse voulez-vous défendre aujourd’hui ?

La danse qui nous anime est née de l’autodidactie et revêt une dimension universelle qui nourrit nos valeurs. C’est elle qui nous permet de dialoguer en transversalité avec les autres esthétiques, d’être en prise avec le réel. Dans l’instant, dans les gestes, dans les corps, dans son engagement politique et historique, la danse qui nous traverse vit avec le public. Ici, donc, l’enjeu est pour nous de faire irradier un art chorégraphique pluriel, qui ne peut se réduire à une seule forme d’expression.

Photo © Yann Peucat