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Catherine Baÿ, Joyeux anniversaire Blanche-Neige !

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 5 janvier 2015

Après un premier « banquet » mis en scène en 2010, Catherine Baÿ est de nouveau invitée au Centre Pompidou et présente une toute nouvelle performance dans le cadre du dixième anniversaire du festival Hors-Pistes : L’Anniversaire.

Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre projet « Blanche-Neige » ?

C’etait il y a environ une dizaine d’années, je venais d »avoir ma fille. Je travaillais à l’époque autour du thème des discours politiques et la personne avec qui je devais développer les recherches sur la nature des discours existants m’avait fait faux-bond… J’étais à ce moment là dans la maison de Georges Bataille à Vézelay et je m’octroyais 4 heures par jour pour développer une nouvelle idée. J’ai imaginé ce personnage de Blanche-Neige, arraché du conte oral pour devenir produit de consommation, réduit a l’état d’objet de marketing. Au début, je n’avais pas beaucoup de liens avec ce personnage, ce qui me laissait une certaine liberté d’interprétation.

Pourquoi exploiter cette figure en particulier ?

Connu de tous, ce qui m’intéressait c’est que, même si ce personnage est encore présent dans le conte que les parents lisent à leurs enfants (avec ses lots d’interprétation), il représentait également cette nouvelle culture de masse où la consommation prend le pas sur l’imagination. J’ai donc écrit un livret dans ce sens : Un monologue d’un personnage-otage de sa propre condition.

Comment est apparue la forme performative ?

Plus tard en m’inspirant de petites figurines (Les Polly-pocket), j’ai demandé au designer Roel Stassart s’il pouvait s’inspirer de leurs habits pour créer des costumes pour Blanche-Neige. Il a donc travaillé sur des moulages et créé des costumes en latex grandeur nature qui donne au personnage un mouvement à la fois très particulier et un son très intéressant lorsqu’elles se déplacent. J’ai commencé par créer une chorégraphie assez classique qui est la matrice de la performance avec un temps défini. Très vite j’ai développé une forme performative qui n’a pas cessé d’évoluer à travers le temps.

Votre formation d’ethnologue fait également un lien avec celle de chorégraphe et de plasticienne.

En effet, à chaque intervention, je travaille toujours avec les gens du pays qui m’accueille et j’élabore ainsi ma performance avec eux, l’histoire du pays, son architecture, etc. Par exemple, invité à Cuba, j’ai échoué des Blanche-Neige sur la Baie des Cochons. Cuba s’ouvrait timidement à la société de consommation et face a ce phénomène, je me suis posé la question d’une autre façon d’envahir un pays que par l’aide des armes… Cette performance jouait sur le sens du verbe « échouer ».

Je suis curieux de savoir comment le projet « Blanche-Neige » a évolué depuis sa création.

À présent, ces Blanche-Neige ont créé un véritable réseau de part le monde !! En effet, ayant travaillé dans de nombreux pays, et à chaque fois avec des gens nouveaux, Blanche-Neige s’est internationalisée, elle crée à présent un réseau très fort. Il y a actuellement environ 300 Blanche-Neige dans le monde, toutes connectées.

Quels projets avez-vous pour vos Blanches-Neiges ?

Je me suis donné pour but de les rassembler (une fois les 5 continents parcourus) dans un hémicycle, pour soulever la question de la pluralité lorsque l’on est tous pareils. Il me reste à « envahir » la Chine – où un précédent projet a été censuré (il s’agissait d’une manifestation d’une cinquantaine de Blanche-Neige, en vue de dénoncer les conditions de travail, lors de l’inauguration du parc Walt Disney). Reste aussi l’Inde et l’Australie, où je n’ai pas de contacts directs. L’Afrique est aussi pour l’instant en suspens …

Vos Blanches-Neiges ne sont pas inconnues du Centre Pompidou : vous y avez présenté « Le Banquet de Blanche-Neige » lors d’une carte blanche en juillet 2010. Pouvez-vous revenir sur cette semaine ?

L’idée du « banquet » était de travailler sur la notion de l’hôte : celui qui reçoit et celui qui est reçu. Le côté performatif de ce « banquet », qui s’étirait sur une semaine complète de présence, était très stimulant. Invitées par le Centre Pompidou, ces Blanche-Neige invitaient elles-mêmes d’autres performeurs, tels que Tsuneko Tanishi, Pascal Lièvre et bien d’autres. À cette occasion, j’ai aussi sélectionné un certain nombre de vidéos dans la collection du Centre Pompidou. Des œuvres importantes de la performance ont ainsi été présentées durant le banquet et mises en miroir avec celles de jeunes artistes plasticiens et vidéastes (représentés par les Rencontres Internationales Paris Berlin Madrid).

Les Blanches-Neiges étaient là en permanence pendant le temps de l’exposition.

J’ai travaillé sur la notion d’épuisement de la fête, qui n’en finit pas… Actrice et témoin de notre temps Blanche-Neige, toujours pareille, jamais la même, est celle qui nous uniformise et nous distingue. Ce banquet était également un hommage à cet espace ouvert à tous, cette force du sous-sol du Centre Pompidou (en effet du premier étage, chacun pouvait voir gratuitement les spectacles), où j’ai pu voir les premières pièces de Robert Haschely, et bien d’autres, qui ont constituées les bases de mon travail. Espace de démocratie et d’ouverture à l’autre. Durant une semaine, les visiteurs passaient, s’installaient, flânaient. Blanche-Neige les accompagnait dans leur déambulation, tel un rêve éveillé. Blanche-Neige comme un rêve, mais également comme un cauchemar. Cette ambiguïté est toujours présente dans mon travail.

Le projet « Blanche-Neige » se décline également aujourd’hui sous la forme de collaborations photographiques.

Il y a longtemps que je travaille sur d’autres formes, car celles-ci permettent de développer d autres médias, et d affiner d autres intentions. Mon travail avec les photographes a été très enrichissant que ce soit avec Marc Domage ou dernièrement, au Japon, avec Sebastian Meyer. Avec Marc, nous avons travaillé sur cette figure qui révèle le paysage met en avant celui-ci. Avec Sebastian, j’ai trouvé le côté organique, minéral de Blanche-Neige. Ce travail photographique sera présenté pour la première fois à The Window, dans le cadre du festival Hors pistes / Hors les murs, où nous sommes invités pour la 2e année consécutive. (The Window est un laboratoire de recherche artistique en milieu urbain créé à la suite de mes rencontres artistiques lors de mes voyages.)

Des vidéos découlent également de ce travail.

Mes deux « Road-Movie » on été créé l’un dans le Morvan, l’autre à l’île de la Réunion. Nous voyons là, encore un autre aspect de ces Blanche-Neige. En voyant ces films, on voit un groupe de Blanche-Neige marcher en pleine campagne. Envahissent-elles la terre ou bien désertent-elles celle-ci ? Sommes-nous à la fin d’un monde ou bien au début de celui-ci ?

Vous présentez « L’Anniversaire » au Centre Pompidou, une performance annoncée comme un dispositif « transmédia ». Pouvez-vous nous parler de ce nouveau projet ?

Transmédia, effectivement ! Disons que le travail de « Blanche-Neige », tel un conte contemporain, se développe et prend différentes formes, selon les supports utilisés, montrant ainsi des facettes très différentes du conte. Les réseaux sociaux permettent de développer la narration d’une façon singulière, selon que nous utilisons Instagram, Facebook, etc. Chacun peut ainsi nourrir cette histoire.

Comment allez-vous vous emparez de ces réseaux ?

Ce qui va se passer au Centre Pompidou sera le fruit de l’utilisation de ces réseaux. À partir de la phrase « Who’s that girl ? » et d’un avis de recherche diffusé sur le web, chacun pourra interpréter la Blanche-Neige selon son humeur et sa culture. C’est en cela qu’elle rejoint le conte populaire où les parents, selon leur état d’esprit du moment, inventent, à partir de la trame du conte, des histoires très différentes, en miroir avec leur propre vie. Dans mon livret Blanche-Neige dit : « Je suis ce que vous êtes. » Émancipée de sa condition d’objet de consommation, Blanche-Neige retourne à sa liberté d origine, via Internet. Elle échappe par là même, à moi-même et à tous ceux qui veulent s’en emparer (soulevant indirectement la question du droit d auteur). Il m’est apparu judicieux d’engager ce travail dans le cadre du festival Hors Pistes, qui s’intéresse directement à la question de l’image et de ces nouveaux supports. De plus / et, est-ce un hasard ? / l’anniversaire de la 10e édition de Hors-Pistes correspond à celle du début de ce travail sur Blanche-Neige.

Photo © Portrait trouvé sur l’île de La Réunion « Has been seeing at 13.03 today at 20km from Saint Pierre, Reunion Island ».