Photo Gilles Aguilar

Dans la palette multicolore de Vania Vaneau

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 24 février 2015

Récompensée par le prix Incandescences Beaumarchais-SACD, la première pièce de Vania Vaneau s’intitule Blanc. Originaire du Brésil, la chorégraphe a été interprète pour Wim Vandekeybus avant d’intégrer l’équipe permanente de Maguy Marin jusqu’en 2012. Aujourd’hui, elle participe aux dernières créations de Jordi Galí et Yann Bourgeois. Blanc sera programmé le 10 mars au Festival Incandescences au Point Ephémère à Paris.

Blanc est votre première création personnelle, quelles ont été vos différents axes de recherche pendant sa création ?

Je voulais faire une pièce organique, atteindre un état de vertige, de perte de contrôle et de volonté rationnelle. À partir de cet axe de travail, j’ai commencé par lire de nombreux textes sur la transe, sur les rituels et les états modifiés de conscience. De ces recherches a découlé la découverte de nombreux articles de neurosciences sur les nouvelles découvertes de la plasticité du cerveau, et des possibilités de la perception humaine rarement utilisées dans la vie quotidienne.

Ses recherches, à priori disparates, tressent des liens très forts et semblent trouver un chemin commun.

Toutes ces recherches se croisent avec le lieu du théâtre, le rôle de l’acteur/danseur, la notion de transformation inhérente à la scène, la figure du chaman et de l’acteur en tant que « medium » ou vecteur pouvant incarner des forces naturelles, animales, humaines, etc. Une nouvelle notion s’est également imposée pendant la confection des costumes : le côté artisanal, manuel et plastique, avec un écho un peu primitif sur la façon de créer, comme de l’art brut.

Pendant la pièce, vous traversez plusieurs étapes visuellement concrètes, pouvez-vous nous expliquer comment se construit la chorégraphie ?

C’est une pièce sur les strates, sur les histoires et les matières qui composent le corps, une sorte d’archéologie corporelle. Je voulais déplier les couches visibles et invisibles du corps, les déployer dans l’espace. Cette exploration s’est réalisée dans deux directions opposées : une transformation qui vient de l’intérieur, en secouant les cellules du corps comme pour mieux voir de quoi il est fait. La seconde transformation vient de l’extérieur : les ornements, les travestissements et les peintures corporelles qui donnent des sens et des «  pouvoirs »  divers à celui qui s’habille. C’est la confrontation du corps « périssable et utopique », fini et infini dont parle Michel Foucault dans Corps Utopique.

Et souvent les antipodes s’attirent…

En effet, ces deux directions, finalement, n’en sont qu’une. Les figures ou personnages qui apparaissent peuvent être lus aussi bien comme des êtres existants que comme des hallucinations intérieures. Il y a également tout un travail sur le visage et le masque, sur les couleurs et les émotions comme autant de paysages sensibles, organiques et dramatiques qui nous traversent et nous transforment sans cesse.

À travers le prisme de votre corps, vous incarnez une foule d’images radicalement différentes pendant la pièce, quelles ont été les différentes matières à partir desquelles vous avez travaillé ?

J’ai commencé par explorer l’idée de l’extrême porosité du corps. Un corps qui serait comme un filtre traversé par une multitude d’images, d’histoires, d’émotions, et qui prendrait certaines formes à des moments donnés. Au tout début de la pièce, j’essaie d’établir un rapport de pure empathie avec le public : je me laisse traverser par chaque visage que je vois. Ce n’est pas une simple représentation ou une imposition mais plus une rencontre qui se passe entre deux entités et qui s’exprime dans les corps. Il y a ensuite la succession de transformations à partir d’artifices : costumes, son, lumière, qui sont comme des peaux de différentes matières qui s’enfilent et s’enlèvent… mais c’est un rituel inventé qui joue avec des contrastes : blanc, noir, couleurs, vibrations verticales et dilatations horizontales, corps organiques et statues, vie et mort, etc.

La pièce semble puiser son origine dans vos racines et votre culture personnelle. Peut-on lire Blanc comme une sorte d’autoportrait ?

Avant que le guitariste Simon Dijoud intègre ce projet pendant la création, l’idée était vraiment de faire un solo mais je ne voulais pas que ça parle de moi, c’était plutôt l’idée d’une pièce avec une seule personne… En même temps, le sujet même de la recherche puisait quelque part sur l’identité ou les identités, la multitude ou la foule qui habite un individu, à l’instar de la lumière blanche, qui se compose de toutes les autres couleurs.

J’ai cherché du côté des rituels et célébrations afro-amérindo-brésiliens, je me suis confronté à une question très présente dans la société multiraciale brésilienne et dans ma situation d’immigrante en Europe : la rencontre et l’incorporation de différentes cultures. Au Brésil, dans les années 20, il y a eu un mouvement artistique et intellectuel qui s’appelait l’anthropophagie, ou comment la culture brésilienne pouvait digérer les cultures dominantes étrangères, européenne et américaine, pour créer quelque chose d’autre sans être simplement soumit à cette domination. En référence à certains peuples cannibales indiens qui mangeait les blancs (et finalement se sont fait « manger » à leur tour!). Les africains, venus au Brésil comme esclaves, ont du également se camoufler dans la culture chrétienne coloniale pour préserver au minimum leur croyances et leurs coutumes.

On se tord, on s’étire, on s’adapte comme un fleuve ou un arbre. En tant que brésilienne arrivée en Europe, je suis passé par une première «  transformation »  et aujourd’hui je regarde de nouveau certains éléments de la culture brésilienne avec un regard « européanisé »… Cet aller-retour mettait en évidence ma condition de personne blanche, urbaine, occidentale, l’enveloppe et l’environnement qui me constituent…

Conception et interprétation Vania Vaneau. Assistant Jordi Galí. Réalisation sonore Simon Dijoud. Conseils chorégraphiques Anna Massoni. Lumières Johann Maheut. Photo Gilles Aguilar.