Photo Murmur by Sean Goldthorpe

Aakash Odedra, le petit prince anglais

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 6 janvier 2015

Étoile montante de la scène britannique, Aakash Odedra s’est imposé sur la scène contemporaine la saison passée avec sa pièce Rising composée de quatre solos signés par les chorégraphes Akram Khan, Sidi Larbi Cherkaoui, Russell Maliphant et lui même. Il revient aujourd’hui en Île-de-France et présente sa dernière création : Murmur / Inked, pièce chorégraphié par Damien Jalet et Lewis Major.

Les spectateurs français vous connaissent depuis votre pièce Rising, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis un anglais d’origine indienne dont la famille a vécu en Afrique. C’est une histoire d’immigration inhabituelle mais commune à de nombreux indiens vivant aux Royaume-Uni. La Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda étaient des territoires britanniques, tout comme l’Inde. Lorsque les nations d’Afrique de l’Est sont devenues des États «souverains indépendants» il y a eu beaucoup d’hostilité envers les Indiens qui avaient été déportés en Afrique. Le général Ougandais Idi Amin Dada a même expulsé des Indiens. Avec des passeports britanniques, mes parents ont déménagé en Grande-Bretagne et se sont installés à Birmingham où je suis né. J’ai grandi dans un endroit appelé Sparkhill, quartier défavorisé composé de nouveaux migrants. J’ai également habité à Leicester, dans un quartier « chaud » appelé Highfields. Mais je félicite mes parents qui ont tout fait pour briser ce cycle.

Rising est composé de quatre solos chorégraphiés par Akram Khan, Sidi Larbi Cherkaoui, Russell Maliphant et vous même. Comment et pourquoi le choix de ces chorégraphes ?

Akram Khan est mon mentor depuis 2009. Il a créé son spectacle Vertical Road pendant l’été 2010 dans ma ville natale de Leicester, où je vis maintenant. Un soir, durant un diner avec mon producteur, Akram a mentionné qu’il aimerait chorégraphier un petit solo avec moi. Mon producteur lui a répondu « Je ne peux pas vendre une pièce de 10 minutes, j’ai besoin d’une soirée ». Il a ensuite demandé à Akram de penser à deux autres chorégraphes avec qui ce projet pouvait se réaliser et les noms de Sidi Larbi Cherkaoui et Russell Maliphant se sont vite imposés. J’ai été chanceux parce qu’ils ont tous les deux accepté de me rencontrer.

Vous présentez aujourd’hui votre nouvelle création Murmur / Inked. Dans cette pièce, vous avez collaboré avec Damien Jalet et Lewis Major, comment avez-vous travaillé avec ces deux chorégraphes ?

Travailler avec Lewis Major semblait naturel. Nous nous sommes rencontrés à Amsterdam en 2011 par l’intermédiaire d’un ami. Je travaillais sur le solo Rising avec Sidi Larbi Cherkaoui, Russel Maliphant et Akram Khan. J’avais besoin, à l’époque, d’un soutien pour travailler, Lewis est venu à Leicester, m’a aidé à développer mes compétences et est devenu par la suite le directeur de répétition de Rising. Lorsque nous avons évoqué le projet Murmur avec Ars Electronica, Lewis recherchait un danseur avec qui collaborer. C’est devenu notre première grande projet chorégraphique. Nous étions un immense soutien l’un pour l’autre. Faire un solo signifie également avoir besoin d’un regard extérieur, et les yeux de Lewis sont toujours d’une grande importance.

Comment avez-vous rencontré le chorégraphe Damien Jalet ?

J’ai rencontré Damien pendant un workshop avec Akram Kahan. J’étais fasciné par sa présence et sa façon de travailler. Pour Murmur, je me suis principalement inspiré des tatouages de ma grand-mère. Elle appartenait à une tribu de garrier Saurashtra au Gujarat, les tatouages tribaux signifiaient leur appartenance et leur offraient une protection. J’étais intrigué par l’utilisation des marques à travers le temps et la culture. J’ai senti que Damien pouvait développer ce concept en mouvement.

Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle création Murmur/Inked ?

Murmur est une histoire sur ma lutte contre la dyslexie. J’ai grandi avec, j’en suis venu à terme et je l’ai accepté. La langue écrite est comme une langue étrangère pour moi. Mon producteur est allé au Ars Electronica en 2012, le festival n’avait jamais présenté un spectacle de danse indienne. La danse classique indienne est très ancienne, elle a plus de deux mille ans. La danse indienne était comme une forme de culte, dansée uniquement dans les temples, dans des petits espaces intimes. La danse est devenue aujourd’hui une forme de grand spectacle, et pour que la danse indienne survive, elle doit s’adapter à son temps et être présentée sur les grandes scènes. Les technologies déployées grâce à Ars Electronica ont permis de créer de surprenantes images. Dans les danses Kathak et Bharata Natyam, les petits détails font la différence. Le mouvement des yeux, des lèvres et de la main évoquent toujours quelque chose mais quand vous êtes devant un auditorium de mille personnes, vous ne pouvez pas en voir la beauté. Les spectateurs doivent être prêt du danseur. Grace aux nouvelles technologies, nous avons exagéré et déformé la réalité. J’ai ensuite réalisé que c’était le monde de la dyslexie. Les lettres deviennent autres choses, imprimées, me sautant aux yeux.

Et pour Inked ?

Inked s’est construit différemment. Nous avons commencé à travailler à partir des tatouages de ma grand-mère. Damien Jalet a fait beaucoup de recherche pour trouver l’origine et la signification de ses tatouages. Lorsqu’il s’agissait de sa tribu, ma grand-mère avait un sentiment d’appartenance, ses marques lui ont donné cette protection. Mais il y avait également un sentiment de restriction, ses tatouages étaient comme des symboles : ils montraient à qui elle appartenait, qui elle était, ils déterminaient son rôle et son statut. Damien a exprimé cette idée à travers ma peau. La notion d’explorer l’espace lorsque le corps est limité ou lié.

Ce type de méthode travail va-t-elle continuer ? Préparez-vous de nouveaux solos ?

J’ai quelques idées sur lesquelles j’aimerais travailler. La première est déjà en préparation : je travaille avec Aditi Mangaldas, une des plus grandes chorégraphes de Kathak installée Delhi. Aditi est incroyable, c’est quelqu’un que j’admire beaucoup. C’est la première fois que je collabore avec une femme. Nous sommes actuellement en train d’étudier le projet et nous espérons pouvoir travailler cet été, en vue de présenter notre spectacle l’automne prochain.  Je veux également profiter de cette année pour faire de la recherche en studio, travailler avec de nouvelles personnes, recueillir des idées et voir où cela va me mener.

Photo © Sean Goldthorpe