Photo © Laurent Friquet

Volmir Cordeiro, Une foule sans visage

Par Wilson Le Personnic

Publié le 22 février 2018

Ces prochaines semaines, l’agenda du chorégraphe brésilien Volmir Cordeiro sera chargé. En parallèle à une tournée qui l’amènera à sillonner les routes de France, il présentera du 10 au 30 mars l’exposition L’œil la bouche et le reste – conçue en collaboration avec ses camarades de longue date Marcela Santander Corvalán et Margot Videcoq – au Centre National de la Danse à Pantin. En écho à cette actualité turbulente, une traversée de son travail – en sa compagnie – s’imposait.

Quiconque croise Volmir Cordeiro dans une foule s’arrête inévitablement sur sa silhouette. Son anatomie détonne et fascine : sa taille avoisine les deux mètres, ses jambes et ses bras d’albâtre sont extraordinairement longs et lui confèrent une silhouette quasi tentaculaire. Depuis peu également, sa tignasse rousse a laissé place à un crâne rasé à blanc. Le danseur connaît le pouvoir d’attraction de son physique hors-norme et joue de ces particularités dans l’écriture corporelle de chacune de ses pièces. En seulement quelques années, le jeune chorégraphe brésilien a su s’imposer sur la scène chorégraphique française et esquisser les contours d’une oeuvre singulièrement incendiaire.

Chacune de ses créations est pour lui l’occasion de se laisser envahir par un imaginaire, à partir duquel il construit un catalogue composé de gestes, de postures, d’attitudes. Poreux au milieu qui l’environne, sensible aux gens et aux situations qu’il observe, son corps est traversé par des corporéités brutes qu’il incarne toujours avec justesse et véracité. Dans son premier solo Ciel (2012), il donne vie à une foule de personnages marginaux (des prostituées, des drogués, des fêtards, etc.). L’artiste témoigne : « Ciel était une sorte de re-connexion avec le Brésil, un voyage profond dans ma mémoire. Ces personnes participaient à ma vie de carioca, et j’ai fini par ressentir leur absence une fois arrivé en France. Par ce voyage dans la mémoire, je débarque dans un imaginaire spécifique et à partir de cet imaginaire, je retrouve des sensations qui finissent par générer du geste ». Dans sa deuxième création Inês (2014), sa recherche, encore une fois innervée par son mal du pays, se resserre autour d’une femme devenue icône populaire au Brésil : « Inês est la pièce la plus inquiète de toutes, à chaque fois le fantôme d’Inês revient avec force, c’est une pièce qui a très peu de choses résolues, par rapport à d’autres. À chaque fois, il faut que je négocie avec le fantôme d’Inês, c’est la présence absente d’Inês qui vient en quelque sorte réclamer sa place ». 

Ses performances ont pour leitmotiv d’êtres frontales et adressées. La relation entre le danseur et le public s’échafaude toujours par l’acuité du regard : ses yeux captivent autant qu’ils transpercent. « Toutes mes pièces sont fondées sur le regard de l’autre, sur la capacité de lever les yeux devant quelqu’un d’autre… Je veux que le public ait la sensation d’exister pendant que je danse et le regard brise cette séparation… Cette notion de frontière est présente dans toute mes pièces, je suis autant spectateur que les gens qui sont en train de me regarder… Je suis parfois avec vous, vous êtes parfois avec moi, et cette tension qui s’instaure mobilise une dialectique ». Accentué par des grimaces qui déforment les traits de son visage, ce travail autour du regard souligne une seconde particularité qu’on retrouve dans le travail de Volmir Cordeiro : la relation entre image et mots. Le chorégraphe récolte en effet de nombreux textes avant de commencer la création d’un nouveau spectacle : « Je ne vais pas travailler en studio sans être chargé en amont par des mots, la danse émerge souvent par des textes, ce n’est pas fou si je me mets alors à parler pendant que je danse… ». Retranscrit sous forme de gestes ou mis en voix, ces textes sont le terreau d’une écriture chorégraphique prolixe portée par le verbe. Qu’il soit murmuré, adressé ou scandé, il interpelle toujours l’audience.

Dans Rue (2015) – avec le percussionniste Washington Timbó – le chorégraphe s’est approprié les poèmes de Bertolt Brecht sur la guerre et fait jaillir avec fougue la violence des mots du dramaturge allemand. À contrario, le travail autour du texte est parfois souterrain, comme dans le duo Époque (2015) co-signé avec la danseuse Marcela Santander Corvalán. Ensemble, les deux comparses ressuscitent les gestes de chorégraphes femmes issues de leurs patrimoines de la danse : Valeska Gert, Josephine Baker, Vera Mantero, Yoko Ashikawa, Anita Berber… : « C’est la seule pièce dans laquelle je ne parle pas. Pourtant, nous avons beaucoup travaillé avec des textes théoriques et critiques. Nous avons décidé de ne pas regarder de vidéos, afin de garder la puissance des mots comme générateur d’un imaginaire gestuel. Pendant le spectacle, nous restons silencieux, mais nous sommes tout le temps en compagnies de ces mots… Avant la pièce, les échauffements passent d’ailleurs toujours par la relecture des textes afin de se les remémorer». 

Programmées aussi bien dans des espaces dédiés aux formes spectaculaires que dans des espaces inattendus, les danses de Volmir Cordeiro se confrontent à des architectures et des environnements disparates, bien que ces pièces aient toutes étaient créées au théâtre. Affranchies de tout décors, ses chorégraphies s’acclimatent et s’adaptent aux (mi)lieux dans lesquelles elles sont présentées « Si mes pièces sont très pauvres scéniquement, c’est aussi parce que l’espace va devenir mon complice. J’aime les cadres qui poussent un peu les contraintes de l’espace, que je puisse aller chercher des tensions qu’on ne trouve pas dans une boîte noire, trouver des éléments de fuite ». L’idée même de boîte noire ne semble en effet plus être une condition nécessaire de sa production scénique, en témoigne ses multiples escapades en dehors des plateaux, leur préférant alors des paysages verdoyants et bucoliques, des musées, ou des zones de circulations, qui deviennent, du fait de sa seule présence, de nouveaux espaces propices au spectaculaire.

Dans sa dernière création L’œil la bouche et le reste (2016) avec les danseurs Calixto Neto, Isabela Santana et Marcela Santander Corvalán, le chorégraphe explore les possibilités d’une danse bestiale et orgiaque qui émerge à partir d’un travail autour de l’œil et du regard. Cette dernière création vient mettre en exergue une particularité qui nimbe les pièces de l’auteur : de son solo Ciel où son sexe et son pubis sont visibles à travers un demi justaucorps transparent, en passant par le duo Epoque où les deux interprètes offrent leurs anatomies à la vue du public, jusqu’a ce dernier quatuor où sexes, seins, fesses sont exhibées avant qu’une orgie charnelle et libidinale vienne entremêler les chairs, l’eros anime et transcende sans vergogne les corps qui peuplent les pièces de Volmir Cordeiro.

Pensée comme une collection d’images qui a nourri son imaginaire et l’a accompagné tout au long de sa dernière création éponyme, l’exposition L’oeil la bouche et le reste réunit une sélection de vidéos qui explorent les organes du visage. Une soirée spéciale Une nuit des visages qui inaugure l’événement au Centre National de la Danse à Pantin réunira des artistes invités, Volmir Cordeiro, Isabela Fernandes Santana, Marcela Santander Corvalán, Jérôme Marin, Ana Rita Teodoro, Claudia Triozzi et Aude Lachaise, avec des performances en résonance avec les thématiques de l’exposition, de courtes séquences, extraites de leur travail ou créées sur-mesure pour l’occasion.

Photo © Alain Monot

Le 10 mars, Une nuit des visages, CND à Pantin
Le 15 mars, Époque, Festival Artdanthé à Vanves
Le 20 mars, Inês, Espaces pluriels à Pau (Caravane du CN D)
Le 21 mars, Ciel, Espaces pluriels à Pau (Caravane du CN D)
Le 27 mars, Rue, Théâtre de Chateauvallon
Les 29 et 30 mars, Rue, TAP Poitiers / Festival À Corps
Du 5 au 7 avril, Ciel, Centre Pompidou