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Sa prière, Malika Djardi / Ecce (H)omo, Paula Pi

Par François Maurisse

Publié le 26 juin 2017

Pour la deuxième soirée de son édition 2017, le festival Uzès danse a proposé un programme composé de deux solos de deux jeunes chorégraphes, deux premières créations. Malika Djardi commence la création de Sa prière encore étudiante au CNDC d’Angers, en 2010, à la suite d’une formation en arts plastiques et en danse à l’UQAM de Montréal. Après plusieurs expériences en tant qu’interprète (auprès de Pierre Droulers, Mélanie Perrier ou encore Alexandre Roccoli) elle se décide à terminer la création de Sa prière en 2014. Paula Pi a commencé le travail sur Ecce (H)omo quand elle était en première année du Master exerce au CCN de Montpellier, en 2014, après une formation musicale et théâtrale à Sao Paulo au Brésil. Ces deux solos, bien que profondément dissemblables, semblent représenter pour ses deux jeunes femmes une façon de se lancer dans la création chorégraphique, en réaction à une matière documentaire.

Sa prière

Le solo de Malika Djardi, Sa prière, se déploie autour d’un enregistrement de sa mère racontant sa conversion à l’islam. La chorégraphe a choisi de ne pas se confronter à l’image de sa mère, mais seulement, de façon plus pudique, à sa voix dans un entretien désinhibé dans la sphère de l’intime. Se questionnant sur son statut de jeune danseuse, et sur son propre rapport au rituel, elle raconte qu’en rentrant chez sa mère les fins de semaine, elle a pu être témoin de la pratique religieuse de sa mère, en prière. Seule au plateau avec une petite colonne recouverte d’une multitudes de facettes réfléchissantes à la manière d’une boule disco, Malika Djardi semble se représenter dans un temps de recherche gestuelle, une manière pour elle d’interroger à la fois la généalogie et la naissance de l’action chorégraphique.

Les mouvements sont parfois illustratifs dans le dialogue avec la bande son, souvent dans le tâtonnement. Sans hiérarchie aucune, le corps de la danseuse brasse un large panorama d’influences : d’un style minimaliste aux danses indiennes, des danses populaires à des mouvements de classique. L’écriture chorégraphique est un joyeux fourre-tout, à l’image sans doute des deux morceaux de musique diffusés en miroir pendant le spectacle : le tube pop We found love de Rihanna, et Tres Morillas, morceau de musique espagnole renaissante. Il en résulte un collage plutôt inégal, spontané et juvénile, sans réel propos mais néanmoins porté par une énergie virevoltante. Si la prière, pour la mère de la chorégraphe, agit comme un biais pour envisager son rapport aux autres et au monde, c’est dans la pratique de la danse quelle qu’elle soit, que Malika Djardi semble trouver sa voie.

Ecce (H)omo

Ecce (H)omo, la proposition de Paula Pi, prend sa source dans un autre type de document. Elle a effet commencé le travail de création de cette pièce en se confrontant à une série de vidéos du cycle des Afectos Humanos de la chorégraphe expressionniste allemande Dore Hoyer (1911-1967). Dressant une typologie des différents affects humains, la chorégraphie intéresse cinq sentiments a priori universels (la vanité, le désir, la peur, la haine et l’amour) et œuvre à leurs représentations par le mouvement, dans une approche qui est certes expressionniste mais aussi radicale, crue, minimale dans la forme.

Cette fondation documentaire permet à Paula Pi, dans un processus d’incorporation des danses et de leurs affects, d’injecter dans le spectacle une matière qui lui est très personnelle. On y trouve un travail de déconstruction du langage quasi-musical, mais aussi une mise en scène des caractères de représentation de la masculinité par une femme, ou encore une redéfinition toute post-moderne de la notion d’auctorialité. C’est une véritable écriture de soi qui prend place sur le plateau : dans une grande fluidité, la danseuse passe d’un état à l’autre en un rien de temps et traverse une multitude de paroles, d’attitudes, d’identités et de personnages anciens, contemporains, hommes, femmes, réels ou fictifs.

Au delà d’une simple reprise des Afectos humanos de Dore Hoyer, Paula Pi produit la brillante démonstration de l’incarnation d’une matière chorégraphique existante pour la modeler à son image et en assumer toutes les résonnances. Elle effleure toute une série de questionnements concrets qui, sans jamais pencher vers le militantisme ou l’approche documentaire, apporte un éclairage pertinent sur les problématiques liées aux représentations des corps en scène aujourd’hui.

Sa prière et Ecce (H)omo, vu dans le jardin de l’évêché, dans le cadre du festival Uzès danse. Photos © Laurent Paillier.