Photo Marc Domage

Tôzai !…, Emmanuelle Huynh

Par Céline Gauthier

Publié le 18 mars 2016

Emmanuelle Huynh présente avec Tozaï une pièce pour six danseurs où se traduit par les gestes la partition d’un rituel tenu secret, le dernier instant avant que ne s’ébauche sur scène une danse mesurée et contenue, toute imprégnée de la culture théâtrale japonaise.

Une danseuse observe les spectateurs prendre place : elle parcourt la scène, réduite à quelques mètres carrés seulement par un rideau gris qui occulte le fond du plateau, tandis qu’une voix invisible énumère la description topographique d’un lieu imaginaire. Sa déambulation attire peu à peu l’attention du public, alors même que la salle est toujours éclairée : l’empressement laisse place à l’attente et le silence se fait. Elle disparaît derrière le rideau, et seul résonne encore le bruit de ses pas qui martèlent le plancher, tandis que sur scène a pris place un danseur aux gestes déliés.

La pénombre progressivement se fait dans la salle, tandis que résonne depuis les coulisses les sons métalliques et rugueux d’un décor qu’on installe. À l’avant-scène les solos se succèdent, où chaque danseur ébauche quelques pas, l’esquisse d’une danse qui demeure inachevée. L’un malaxe son visage avec ses doigts, tandis qu’un autre chaussé de patins arpente le plateau de glissements feutrés ; son acolyte glapit d’indéchiffrables phonèmes. On se prend alors à imaginer qu’on assiste derrière le rideau à l’instant intime et frénétique d’échauffement des danseurs. Une danseuse longe le rideau puis s’allonge et glisse sa tête entre deux pans du tissu ; elle reste immobile quelques instants puis s’y faufile entièrement, on distingue sa jambe disparaître lentement

Le noir se fait, seulement ponctué du bruit des petits sauts d’un danseur, métronome invisible qui déchire le silence. La lumière lentement se rallume, qui marbre le plateau de doux reflets. Un danseur à la gestuelle arachnéenne surgit des coulisses et s’élance avec une prestance déroutante. Il disparaît derrière le rideau gris qui glisse doucement et les plis du drapé s’enflent ou se rétractent ; ils semblent animés par un souffle intérieur. Les danseurs dissimulés dans les replis du tissus rampent et se faufilent, on devine la forme de leurs corps sous les renflements de la toile, telles d’improbables chrysalides. Ils émergent peu à peu du rideau et étirent lentement leurs corps fourbus. Ils suivent des yeux les mouvements de leurs bras, accompagnent de la tête le trajet de leurs mains, avec un étonnement toujours ponctué par d’imprévisibles instants de folie, cris soudains arrachés au silence. Ils écartent les pans du rideau de part et d’autre des coulisses, et révèlent enfin la profondeur du plateau. Tous les danseurs se retrouvent en fond de scène, dos à nous, comme si la salle n’était que le reflet d’un public invisible de l’autre côté du mur. Ils ne s’accordent jamais tout à fait mais sans qu’ils échangent un regard on entrevoit pourtant ce qui par la danse les unit : une certaine facilité à se mouvoir, un geste souple amorcé par le coude ou l’épaule jusqu’aux doigts déliés, pantins légers et malléables qui s’affaissent puis du même élan se redressent.

Le récit étrange, parfois énigmatique que nous livre Tozaï est celui des instants qui précèdent l’entrée en scène, là où les danseurs s’assurent une dernière fois que la danse les anime. Le rideau qui masque ou dévoile le plateau assure à lui seul l’intrigue dramatique d’une pièce qui repose sur le suspens et l’attente.

Vu au Centre Pompidou. Conception et chorégraphie Emmanuelle Huynh. Fabrication et interprétation Katerina Andreou, Jérome Andrieu, Bryan Campbell, Volmir Cordeiro, Madeleine Fournier et Emmanuelle Huynh. Dispositif scénique Jocelyn Cottencin. Photographie Marc Domage.