Photo le syndrome ian 4 © Marc Coudrais

Le syndrome ian, Christian Rizzo

Par Boris Atrux

Publié le 28 février 2017

Après ad noctum et d’après une histoire vraie, Christian Rizzo poursuit son exploration chorégraphique sur « l’histoire de la danse populaire et anonyme ». Après la danse folklorique et la danse de couple, il revient avec la même équipe, Caty Olive à la création lumière, Pénélope Michel et Nicolas Devos (Cercueil / Puce Moment) à la création musicale, et signe une nouvelle fois la chorégraphie, les costumes, la scénographie et les objets. Créée en juin 2016 pour le festival Montpellier Danse, sa dernière pièce en date, le syndrome ian nous plonge dans la torpeur légère d’un club de la fin des années 70.

Ni hommage ni reconstitution, le syndrome ian semble fonctionner surtout comme une boîte investies de fantasmes personnels toute porté à vouloir nous les transmettre. La beauté de la pièce vient de sa capacité à ce que s’y déroule doucement une vision, orchestrée par la composition musicale et le jeu incroyable des lumières, grandes constructions circulaires en néons irradiant de leur centre comme des soleils selon divers rythmes et motifs, avec machines à fumée intégrée, mais aussi au sol cette vaste forme claire ovale et parsemée de glitter doré, émergeant du revêtement noir qui tapisse le reste de la scène.

Cet espace de jeu opère comme zone de partage, dans le double sens possible du mot : dans ce périmètre s’opère la mise en commun des corps dansants tandis qu’hors de celui-ci entrent et sortent les danseurs, qui cessent ou commencent à danser. Et ce sont ces mêmes corps, vêtus de pantalons affûtés noirs et de chemises ou t-shirt blancs assez amples, qui font circuler les dispositifs lumineux en cercle autour de cette zone de danse. Rizzo a cette capacité de faire des propositions de chorégraphes qui sont aussi des propositions visuelles et artistiques au sens plein.

Le point de départ du syndrome Ian est le souvenir de la première sortie en club du chorégraphe, encore adolescent, à Londres en 1979, en pleine vogue disco et post-punk : « une musique sombre et poétique rythmée par des corps électriques, angulaires et saccadés ». Quels vestiges et vertiges des corps vécus lors de ce moment fondateur restent-ils ? Filtrée par la mémoire, la douce puissance qui se dégage de la pièce, et son pouvoir d’attraction, c’est d’évoquer l’excitation d’une époque et l’excitation de s’y reporter près de quarante ans plus tard.

De ces souvenirs ré-émergent des formes qu’on imagine indélébiles, certains mouvements d’une grâce folle, déchaînements codifiés et sublimés, des corps embrassés à deux trois ou quatre, changeant de partenaires de danse, s’invitant les uns les autres, des moments où certains des neuf danseurs entament ensemble des mouvements coordonnés. Et la pièce nous plonge aussitôt terminée dans un autre bain de souvenirs immédiats, rendus presque hallucinatoire par la présence au fur et à mesure de créatures costumés restant témoins de la scène avant de se mettre également à danser, au point qu’il est bien difficile de mettre des mots avec précision sur ce que l’on a vu. Le syndrome Ian opère ainsi magistralement en imprimant aux sens des spectateurs un bonheur diffus et une beauté fulgurante, extatique.

Vu au festival Les Hivernales à Avignon. Chorégraphie, scénographie, costumes, objets lumineux Christian Rizzo. Création lumière Caty Olive. Photo © Marc Coudrais.