Photo Marie Chouinard

Le sacre du printemps, Marie Chouinard

Par Céline Gauthier

Publié le 10 mars 2016

Marie Chouinard propose, avec Le Sacre du Printemps, une relecture de l’œuvre éponyme et sulfureuse de Stravinsky. La pièce, portée par l’élan tragique d’un sacrifice initiatique, s’est depuis lors prêtée à de nombreuses interprétations : la chorégraphe évoque habilement cet héritage et apporte à sa mise en scène un souffle nouveau.

La musique éclate alors que le rideau se lève à peine ; dès cet instant elle impose sa cadence, se substituant à l’intrigue pour donner forme à la pièce : pas même d’Élue ici, car les rôles s’échangent sans cesse, au gré des projecteurs qui dévoilent ou dissimulent le cercle de lumière dans lequel évolue chaque danseur. Les interprètes mêlent dans leurs corps les réminiscences du style russe, animal et distordu, à la propre gestuelle de la chorégraphe, tout aussi anguleuse et saccadée. Le bassin en est le nœud dramatique, traversé d’ondulations propagées depuis la nuque jusqu’à leurs torses, qui s’enroulent et se cambrent par saccades. Les dos s’arquent à la recherche d’un souffle court, et l’expressivité des poignets fléchis vers les doigts déliés souligne une tension vibrante qui se diffuse jusque sur les visages, eux aussi parcourus de grimaces.

Les silhouettes se muent en d’hybrides créatures, ramifiées de prothèses comme de longues griffes placées sur les articulations et dans le prolongement des doigts : figures vénéneuses et tentaculaires à l’ambigüité sexuelle assumée, lorsqu’en duo leurs pubis se rencontrent et s’épousent. Les danseurs se rejoignent sur scène, mus par un frémissement qui parcourt au même instant tous les corps. Émerge alors en nous le sentiment d’une étrangeté encore exacerbée par les yeux cerclés de rouge des interprètes et leurs cheveux hérissés de petites cornes.

Marie Chouinard s’appuie alors sur la partition musicale de Stravinsky pour nous faire éprouver l’élan dramatique suscité par ses rythmes audacieux : les interprètes surgissent des coulisses avec de grands sauts où s’éprouve la puissance de leurs muscles, soulignés par une lumière crue aux reflets rougeoyants qui accentue le relief des corps et sculpte l’intimité de leur chair sans scrupules. Une pièce touffue comme cadre pour la gestuelle hybride de la chorégraphe, servie par de beaux effets de groupe et des corps travaillés pour en extraire l’élan expressif. Marie Chouinard se tire avec fougue et brio de cette relecture du Sacre, parce qu’elle parvient à saisir l’essence d’un geste où éclot la tension dramatique.

Vu à la Maison des arts de Créteil. Conception, direction artistique, lumière et chorégraphie Marie Chouinard. Musique Igor Stravinsky. Photo Marie Chouinard.