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Robert Cantarella, Salon International de la Mise en Scène

Par Leslie Cassagne

Publié le 6 avril 2018

Robert Cantarella est un habitué du festival Etrange Cargo. Il y a déjà présenté un travail autour des enregistrements des séminaires de Deleuze, Faire la salle, faire le Gilles, faire le film (2012), la saison 1 de sa saga Notre Faust (2013), et La Réplique (2016), performance dans laquelle Nicolas Maury servait de réplique à une série de participants, donnant corps à cette figure qui n’apparait jamais sur les scènes mais hante les concours des écoles de théâtre. Son Salon International de la Mise en Scène est une autre façon d’explorer les zones invisibles de la machine théâtrale.

Il y a bien des salons du livre, de l’agriculture et de l’automobile qui servent à satisfaire la curiosité et à attiser le désir des consommateurs de produits culturels, culinaires ou industriels : les metteurs en scène ne seraient-ils donc pas des producteurs comme les autres ? Avec ironie, le S.I.M.E.S place ainsi pendant trois soirées divers artistes invités (metteurs en scène, chorégraphes, mais aussi plasticiens, réalisateurs de cinéma et musiciens) dans la posture de celui qui doit vendre et promouvoir son travail, exhibant ainsi les logiques de financement et de production dans lesquelles s’intègre la création artistique.

Mais en entrant dans la grande salle de la Ménagerie de Verre, on se trouve face à un salon finalement assez cheap : les neuf stands exigus, délimités par des séparateurs de file d’attente, se répartissent sur une moquette violette. Dans chaque espace, la plante verte de rigueur. La plupart des exposants ont adopté les usages du vernissage et proposent à leur public de quoi boire ou grignoter. On peut trouver du rhum et des empanadas chez Leon Hernandez, du chocolat chez Lionel Baier, ou — plus detox — des fruits secs et de l’eau gazeuse chez Valérie Mréjen : une façon somme toute assez efficace d’attirer son public. Quelques artistes ont disposé des chaises pour créer un espace de dialogue — on trouve même un canapé et une table basse chez Daniel Larrieu qui a pris l’idée de « salon » au pied de la lettre — mais dans certains stands, on se met rapidement à l’aise et on s’étale par terre.

Les réponses à l’appel de Catarella, « exposer les projets inavoués, non-réalisés, imaginaires et fantasmés », sont protéiformes.  Certains exposants ont voulu jouer le jeu du salon et ont présenté des objets à vendre : Daniel Larrieu a en réserve un stock de pièces en vente, il solde les projets qui n’ont pas trouvé de producteur et lance des levées de fonds ; Alexandre Doublet décrit de façon très pédagogique son projet en cours dans un dossier artistique vivant ; Lionel Baier expose la genèse d’un scénario ainsi que les stratégies — infructueuses — pour le vendre et propose un sondage pour savoir s’il doit persister. Face à d’autres objets, présentés comme réels, un doute s’installe : un accent étranger un peu forcé, des explications vagues, est-ce qu’on ne jouerait pas à nous vendre un objet absolument fantasmé ? D’autres projets, qui peuvent paraître les plus fous, ont pour certains déjà été réalisés. Dans certains stands, l’artiste n’a absolument rien à vendre et les rapports s’inversent : Valérie Mréjen récupère auprès du public des récits de journées ratées pour une future création potentielle, Yves-Noël Genod circule dans le salon en buvant du champagne et prend un air interrogateur lorsqu’on s’approche : qu’attend-t-on donc de lui ?

Le S.I.M.E.S est un salon qui déraille, dans lequel le public ne peut pas adopter le rôle d’un simple consommateur. La performance est à l’image du plan qui a été distribué au public en entrant dans la salle : non pas une carte avec des espaces et des exposants bien identifiés, mais un schéma sans légende, et en vrac, des images, des textes proposés par les exposants, des échanges de mails sur des questions pratiques. Au bout de la salle, un gradin permet de prendre un peu de hauteur, de s’extraire du mouvement pour mieux observer comment se chorégraphie la visite. De là-haut, on peut repérer les stands où se presse la foule, les espaces plus intimes, les visages concentrés ou rieurs, les gens qui prennent leur rôle de public à coeur, ceux qui ont complètement décroché et boivent un verre en discutant avec un ami.

En ouverture du festival Etrange Cargo, la proposition insolite de Cantarella permet de déplacer la figure de spectateur : celui-ci n’est plus face à un objet spectaculaire fini, mais se trouve en amont ou en aval des projets, qui deviennent des objets de discussion. La réussite de ces échanges, de ces partages de rêveries, dépend tout autant de la curiosité et de l’écoute du public que des dispositifs de participation imaginés par les artistes : certains ont réussi à faire du public un véritable interlocuteur, d’autres ne sont pas parvenus à lui offrir d’autre place que celle d’observateur.

Vu à la Ménagerie de verre dans le cadre du festival Etrange Cargo. Directeur du salon Robert Cantarella. Curateurs Stéphane Bouquet, Philippe Gladieux. Médiateurs Johan Faerber, Diacritik. Exposants (liste en cours) : Lionel Baier, Mikael Buch, Julien Fišera, Massimo Furlan, Yves-Noël Genod, Christophe Honoré, Natacha Koutchoumov, Fabrice Lambert, Daniel Larrieu, Marie-Josée Malis, Valérie Mréjen, Jean-Daniel Piguet, Leyla-Claire Rabih, Alexandra Rübner, David Salazar, Loïc Touzé, Eric Vigner. Photo © Christophe Raynaud de Lage.