Photo Philippe Lebruman

Une raclette, Les Chiens de Navarre

Par Margot Baffet

Publié le 28 septembre 2015

Enfants terribles d’un théâtre plein de verve, Les Chiens de Navarre nous convient cette fois autour d’une « Raclette » pour le moins chaotique. Connu pour son procédé d’improvisation singulier, le metteur en scène nous propose là une comédie dans laquelle la libre interprétation répétée insuffle une énergie sans pareille. Par son approche du comique, la compagnie a fait de l’humour absurde une force.

Avant même que le spectacle ne commence, la scène attire notre attention sur l’agitation loufoque d’une réunion en préparation. On comprend finalement qu’une raclette sera au menu de ce soir. Ce rituel culinaire simple est surtout réputé pour sa convivialité. C’est autour de cette apparente simplicité que les convives vont vivre le grand tumulte d’un surréalisme qui vire à l’orgie. Quand les interprètes jouent aux comédiens dissipés et que des personnages improbables surgissent sur scène les uns après les autres, on constate très vite que la nourriture n’est pas toujours ce qui calme les moeurs.

Par un procédé de mise en abime du théâtre dans le théâtre, l’humour provocateur est de mise pour scénographier toute l’étrangeté de la normalité. Jean-Christophe Meurisse place ici le spectateur dans une situation d’inconfort, jouant des limites du rire, de la réalité à la fiction. Sans aucune censure ni demi-mesure les comédiens nous apportent sur le plateau une provocation parfois violente comme affront à la réalité. L’absurdité vécue est jouissive et les émotions denses. Aussi énervante qu’hilarante, l’insolence des chiens de Navarre est bien ce qui constitue le piment de cette raclette. La scène se trouve transformée en évènement au cours duquel tout peut arriver. C’est autour de cette table bien initialement bien dressée que la bienséance vole en éclats. De l’ennui au tumulte, l’action nous mène en terrain hostile en nous poussant dans les retranchements de ce qui est sérieux ou ne l’est pas. Cette dynamique agit comme un moteur infernal, elle offre un rythme de jeu intense et agitateur d’esprit.

La radicalité des propos, faits et gestes, ainsi que la prise de risque d’une telle mise en scène sont là pour déranger la passivité des auditeurs par le rire. L’ironie est employée comme un jeu d’adresse subtile dont on distingue néanmoins les limites. Cet humour du troisième degrés est une affaire de goût, « plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui » dirait Sacha Guitry. Il est certain que la provocation peut être vécue comme une subversivité envahissante là où d’autres apprécieront son audace: on aurait tendance à dire que les spectacles des chiens de Navarre visent un public initié. Assister au happening de cette « raclette », c’est comme participer à la récréation supervisée de la cours des grands et accepter au fond la fébrilité de notre condition humaine.

Vu à l’Usine C à Montréal. Mise en scène Jean-Christophe Meurisse. Avec Caroline Binder, Céline Fuhrer, Robert Hatisi, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne-Elodie Sorlin, Maxence Tual, Jean-Luc Vincent, Antoine Blesson et/ou Léa Couqueberg. Photo Philippe Lebruman.