Photo Bart Grietens

Un Sacre du Printemps, Daniel Linehan

Par Nicolas Garnier

Publié le 22 juin 2015

Dans la lignée de prédécesseurs prestigieux, le chorégraphe américain Daniel Linehan s’attaque avec sa nouvelle création au Sacre du Printemps, pour une relecture de l’œuvre majeure d’Igor Stravinsky et Vaslav Nijinski. Débutant par un pas de côté, en abandonnant le livret du ballet et avec lui la référence morbide au sacrifice, il renoue avec la vitalité de la partition et propose un spectacle énergique et généreux.

Le cadre de la pièce est intime. La scène se réduit à un parallélépipède de quelques mètres carrés enserré par des gradins et conclut par deux pianos à queue croisés, au chevet desquels patientent les pianistes. Avant même l’arrivée des spectateurs, la troupe de danseurs s’échauffe déjà dans une joyeuse cacophonie gestuelle. Chacun des treize jeunes diplômés de P.A.R.T.S., l’école de danse fondée par Anne Teresa de Keersmaeker, improvise gaiement et se heurte avec plaisir aux autres, un grand sourire aux lèvres. Il règne une ambiance de camaraderie détendue. Cette impression est encore renforcée par la sobriété de la scénographie, l’espace vide et intime, ainsi que les tenues ordinaires, pantalon sombre et haut blanc. Tout se passe comme si l’on assistait à l’heureuse rencontre imprévue d’un cortège dansant dans l’allégresse.

Lorsque les gradins sont enfin remplis et calmes, la cohorte de cols blancs s’immobilise et commence à danser dans le silence. Dans une sorte de parade, les danseurs s’égrainent un à un, s’exilant progressivement au fond de la scène, derrière les pianistes. Ceux-ci restent d’abord muets, attentifs à l’éveil de la chorégraphie, avant d’attaquer soudainement les premières notes du Sacre. Les sons heurtés et violents trouvent une réponse dans les mouvements des corps, brusques et emportés. Alors que l’action continue au centre, certains danseurs se déphasent et prennent place à la périphérie, face au public, très proche, le fixant d’un regard assuré mais doux. L’écran charnel ne cache bientôt plus rien. Puis, c’est le retour au centre et à la chorégraphie. La troupe se synchronise et se désynchronise successivement, elle se sédimente en groupes plus réduits, formant des grappes de corps en contact. L’action est si multiple, si fragmentée et si proche, qu’il est impossible de l’appréhender dans son entier. On en est réduit à un regard parcellaire, qui se fixe selon les cas sur des centres locaux.

Les longs moments de danse diffuse sont entrecoupés de performances plus compactes, sorte de mini-jeux auxquels s’adonne le joyeux groupe. L’interlude entre les deux tableaux du ballet prend ainsi la forme d’un duel de pantomime. Les danseurs installent deux pupitres vidéos où défilent des textes lacunaires, et se répartissent en deux groupes face à face pour un pseudo battle d’insultes mimées. Les sons étouffés qui peinent à sortir des bouches sont agrémentés d’une gestuelle évocatrice. La bataille rangée vire rapidement à la rixe, les corps s’agglutinent et seuls quelques membres s’extirpent pesamment de la masse indistincte. Puis, à nouveau, la danse reprend la main.

En épurant au maximum la chorégraphie, Daniel Linehan parvient à renouer avec la radicalité originaire du compositeur russe. Assisté par Jean-Luc Plouvier et Alain Franco, deux pianistes magistral, dont l’incroyable énergie fait véritablement écho à celle de la partie dansée, il transmet une vitalité débordante, parfois cacophonique tant elle est dispersée, mais dont on ressort plein et rassasié.

Vu dans le cadre du festival June Events. Chorégraphie de Daniel Linehan, avec des danseurs diplômés de PARTS Research Cycle 2014. Le « Sacre du Printemps » d’Igo Stravinsky (version pour deux pianos) interprété en live par Jean-Luc Plouvier (ICTUS) et Alain Franco. Photo Bart Grietens.