Photo Poetry

Poetry, Maud Le Pladec

Par Céline Gauthier

Publié le 30 mai 2016

Poetry se propose comme l’expérience dansée de la cohabitation des sensations et des rythmes musicaux. Le geste est travaillé par les mélodies d’un guitariste live et également déconstruit par un rythme intérieur qui nous demeure inconnu.

La scène s’ouvre sur un trio silencieux aux regards impénétrables : un musicien en chemise et cravate de satin penché sur sa guitare électrique et deux danseurs cramponnés à leur chaise, que l’on voit de profil. Dès les premières notes sans que nous le sachions la concordance entre les gestes et les sons est déjouée : les danseurs munis d’une oreillette écoutent une partition sonore qui n’a de commun avec celle du musicien que le temps qu’ils passent côte à côte sur le plateau. On suppose pourtant que ces atmosphères musicales proposent des rythmes partagés, des instants de rencontre : les danseurs accompagnent de la main ou d’un battement de bras les accords lancinants qui naissent des cordes frottées du bout d’un rasoir ou d’une lime. Le musicien est à son tour parcouru de mouvements brusques, de brefs sursauts tandis qu’il interprète la partition de Fausto Rominelli, compagnon de route de Maud le Pladec depuis sa première pièce. Trash TV Trance est ici complétée par le compositeur et interprète Tom Pauwels qui y mêle des sons nouveaux, sirènes ou craquements : une ambiance urbaine et désuète, à la Jacques Tati.

Les deux danseurs mettent en scène l’analogie entre la source de leurs geste et la position des mains du musicien sur sa guitare : lorsqu’il frôle le manche de l’instrument leurs bustes se mettent en mouvement ; il écarte doucement sa main du bois de la guitare et la salle résonne d’un bruit blanc : la danse progressivement se ralentit. Maintenant presque dissimulés derrière l’ampli qui habille le fond de scène ils s’accordent au rythme d’une marche aux accents militaires ; peu à peu leurs pas insensiblement se désaccordent, prolongés par leur ombre projetée sur la toile de fond. Tous trois trouvent un rythme commun ; dos à nous, en fond de scène : à leur souffle enregistré s’adjoint la cadence régulière de leurs poings dont ils se martèlent le ventre.

La danse se déploie comme une errance autour du plateau, une succession de brèves pantomimes très angulaires où chaque interprète semble absorbé par son propre geste. Toute la pièce joue d’effets d’enchâssements, de mises en scène du geste et de sa mélodie. Les danseurs par instants se figent dans un état de veille silencieuse mais alerte. L’alternance des styles musicaux, tour à tour mélopée électronique ou cadences plus jazz, modifie la tonalité du geste et notre manière de le percevoir : le plateau se colore d’une aura lumineuse qui oscille d’un vert chirurgical à des tons rougeoyants plus chaleureux. Le musicien donne de la voix le tempo, redoublé par une musique qui éclate des enceintes ; face à nous les danseurs suspendent leur geste dans un cri silencieux, bouche béante. Ils chantonnent et semblent dans un murmure égrener des syllabes très articulées mais pour nous inaudibles : les mots seulement suggérés sont recouverts par la musique, dissolus ensuite dans un chuchotement collectif. Le faisceau d’un projecteur vient éblouir le public et s’éteint brusquement.

Une pièce expérimentale autant pour les danseurs que pour nous, spectateurs, qui devons discerner les infimes variations sonores et gestuelles dans le flux langoureux de la guitare pour percevoir la construction intime de la temporalité de chaque mouvement.

Vu au Théâtre de Chaillot. Conception et chorégraphie Maud Le Pladec. Musique Fausto Romitelli et Tom Pauwels. Avec Maud Le Pladec, Julien Gallée Ferré et Tom Pauwels. Création lumières et couleurs Sylvie Mélis. Photo Caroline Ablain.