Photo amandine quillon

Play Bach / Loom / Eddies, Yuval Pick

Par Céline Gauthier

Publié le 2 février 2018

Un trio de courtes pièces compose une douce traversée dans l’univers chorégraphique, musical et sensible du chorégraphe Yuval Pick, à la tête du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape. PlayBach (2010), Loom (2014) et Eddies (2015) retracent en duo, trio ou quatuor l’exploration des mélodies sonores et de leurs résonances gestuelles.

La trilogie s’ouvre avec Playbach, dont le titre astucieux révèle le cheminement de sa composition : la pièce se déroule à mesure que s’égrène une playlist hétéroclite des chefs d’œuvre de Jean-Sébastien Bach, que les danseurs sélectionnent en direct à l’aide d’un I-Pod.  Ces airs nous sont tellement familiers qu’il serait tentant de ne leur prêter qu’une oreille distraite ; pourtant c’est à guetter l’influence des modulations auditives sur la gestuelle des interprètes que le chorégraphe nous invite ici. Le plateau s’est paré d’un tapis de scène blanc, encadré d’un fin liseré noir qui délimite l’aire de jeu sur laquelle évoluent le trio de danseurs, marqués par l’empreinte de l’esthétique baroque – contemporaine de la musique de Bach. Ils virevoltent au rythme d’une partition de courbes et de lignes puisées dans la Belle Danse, s’affrontent dans de joyeux duels en face à face inspirés de l’escrime. Cependant c’est aussi dans le partage de sensations gravitaires et tactiles que s’éprouve la solidarité qui les unit : une onde de gestes se propagent entre leurs mains liées, témoin du travail d’écoute qui nourrit le trio et ouvre à des portés d’une délicatesse extrême, presque irréels tant ils résultent d’une osmose tonique et énergétique avec l’autre.

Loom semble alors composer le second volet de ce diptyque, sous la forme d’un duo ciselé pour deux danseuses accompagnées d’un pianiste. Engagées dans une voluptueuse reptation, souple et aérienne, les interprètes ondulent comme sous l’effet d’un vent invisible : leurs pieds, fermement ancrés dans le sol, sont les repères immuables à partir desquels la torsion se propage du bassin aux épaules, vrille la colonne vertébrale et ploie la nuque. Leur gestuelle, influencée par l’electric boogaloo, semble ici naître de la mise à l’épreuve continue de leur axe gravitaire ; de part et d’autre les bras pendent mollement, parcourus d’un doux rebond. La mélodie cadencée de leur respiration se mêle à quelques notes de musique éparses, et leur souffle semble résonner depuis les profondeurs de leurs diaphragmes. En duo, les danseuses se font face ou parfois s’accolent presque, épaule contre épaule : elles ne rendent que plus visible le mince intervalle qui les distingue et au sein duquel l’énergie de leurs balancements semble se propager.

À ce délicat dialogue tonique succède avec fougue Eddies, pièce pour quatre danseurs, deux hommes et deux femmes, ici vêtus d’une sobre tenue noire. Au son des chuintements et des bruissements d’une mélodie numérique, leurs mouvements se font plus amples, plus déliés aussi. De brefs sauts naissent d’une secousse du bassin, d’une flexion du pied ou de la tête ; tour à tour ils plongent vers le sol, se détournent ou esquissent quelques gestes d’une danse furieuse au son d’une musique tour à tour pop et lyrique, rehaussée d’amples balancements de leurs bras. Les impulsions sonores semblent ici contaminer la dynamique des gestes et la mélodie fait corps avec une danse énergique et impulsive, où chaque nouveau déplacement parait une tentative pour repousser la matière spatiale, dense et vibratoire, qui entoure les danseurs. Entièrement accaparés par une transe mystérieuse ils condensent puis dilatent des flux d’énergies qui quadrillent le plateau et attestent de la justesse avec laquelle Yuval Pick cherche à rendre visible l’intrication des gestes et des élans sonores.

Vu au Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre du Festival Faits d’hiver. Lumières Ludovic Bouaud, Nicolas Boudier. Costumes Emmanuelle Geoffroy, Aude Bretagne, Pierre-Yves Loup-Forest. Avec Madoka Kobayashi, Julie Charbonnier, Adrien Martins, Thibault Desaules. Photo © Amandine Quillon.