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Pauline à la plage / Collectif Colette

Par Nicolas Garnier

Publié le 15 février 2016

En 1983, Eric Rohmer réalisait Pauline à la plage, troisième volet du cycle des Comédies et proverbes, suivant celui des six Contes moraux. Trente ans après, le collectif Colette, emmené par Laurent Cogez, décide de reprendre cette histoire d’amours estivaux qui n’a pas pris une ride. Suivant le texte original du réalisateur dans une large mesure, l’adaptation espère insuffler l’énergie propre au spectacle vivant à ce marivaudage adolescent.

Pauline est une jeune fille nubile qui passe ses vacances d’été avec sa cousine Marion, plus âgée et objet de tous les désirs, sur les côtes bretonnes. C’est dans ce microcosme insouciant que les passions vont déferlées et que va se nouer une intrigue de vaudeville où les relations amicales, amoureuses et sexuelles se croiseront, cumulant désir et déception. Fidèle à l’importance qu’accordait Rohmer au texte et aux dialogues, les rapports sentimentaux se font principalement par la langue, dans un jeu oral érotique fait d’allusions et de malentendus. Les actions sont réduites à leur strict minimum et servent plus de prétexte ou de contexte à la parole, qui est le vrai objet du film et, partant, du spectacle. À ce titre, le travail du cinéaste se prête assez bien à la forme théâtrale où les contraintes scéniques tendent à diminuer l’importance du contexte et des décors pour favoriser l’importance de l’expression corporelle et du langage.

Le collectif Colette tente d’échapper à l’adaptation stricte du film, redoublant en cela la démarche de Rohmer qui travaillait toujours à partir de nouvelles écrites par lui, et qui voulait que le réalisateur soit avant tout un adaptateur, un passeur entre la forme écrite et la forme visuelle du cinéma. Poursuivant la recherche formelle du cinéaste, la scène est volontairement dépouillée, les éléments de décors sont peu nombreux et limités à quelques symboles évoquant l’univers festif et lascif des vacances estivales. La planche à voile de Pierre, un des rares objets du spectacle, sert d’ailleurs de tableau dans le prologue. Sous la forme d’une conférence pseudo-scientifique, Pierre, soupirant éternellement éconduit par la belle Marion, présente le phénomène d’inversion de pôles magnétiques, qui a affecté la Terre de manière exceptionnelle, comme métaphore géologique du chamboulement amoureux. C’est là une des rares originalités apportées par rapport au déroulement film, l’ensemble des actions et dialogues suivent sinon assez fidèlement leurs modèles filmiques.

Les comédiens se présentent souvent face au public, en rang d’oignon et fixant droit devant eux, les dialogues prennent une dimension figée, comme si les textes s’autonomisaient et avec eux les corps.  Pauline à la plage donne ainsi bien à voir la quête éperdue du désir et ses dommages collatéraux. Comme ils l’annoncent dès l’entame, chacun des personnages est à la recherche de quelqu’un d’autre, d’une autre partie qui viendrait le compléter. Tous vivent le célibat comme une période d’attente, comme un état transitoire en attendant la bonne relation, celle qui saura répondre à leurs espérances démesurées. Mais les fils amoureux qui se tissent au fil du spectacle sont finalement réduits à rien à mesure que les espoirs sont déçus et que la fin de la parenthèse estivale approche. Les corps réunis temporairement sont finalement disjoints et renvoyés à leur dérive sentimentale. Seule Pauline, qui n’attendait rien de spécial et se trouvait bien contente dans sa pure réceptivité, aura finalement su profiter de ce que ce moment particulier pouvait offrir. Satisfaite de son amourette passagère, elle continue sur sa lancée, belle et insouciante, éclipsant au passage sa cousine sublime tombée dans les rets d’un beau-parleur qui lui a fait perdre les rênes du désir.

Bénéficiant de la langue riche de Rohmer, le collectif Colette réalise, avec Pauline à la plage, une création légère et agréable. Malgré le parti pris annoncé, on reste cependant sur notre faim et on aurait aimé plus de liberté par rapport à l’œuvre originale. Reste quand même un spectacle rafraîchissant, avec des acteurs généreux qui semblent prendre plaisir dans leur interprétation.

Vu au Théâtre La Commune à Aubervilliers dans le cadre du Festival JT16. Photo Collectif Colette.