Photo GOGOGOcredit Antoine d’Agata ET Osamu Kanemura

Katalin Patkaï & Camille Mutel / Faits d’Hiver

Par Céline Gauthier

Publié le 11 février 2016

Une soirée pour deux regards sur l’amour, maternel et charnel. Avec HS, Katalin Patkaï donne à voir l’ambigüité des liaisons familiales, tandis que Camille Mutel et Go, go, go said the bird exposent la tension latente d’un corps à corps solennel.

HS se présente comme une rémanence contemporaine des troubadours médiévaux. Un « spectacle en kit » selon les mots de sa créatrice, qui met en scène l’ambivalence d’un duo entre une mère et son fils. Itinérante, la pièce tient en quelques cartons et un sac à dos ; l’interprète en extirpe une à une les cannettes métalliques dont elle jonche le sol. Un déballage au sens propre, d’objets et de souvenirs, dans une performance biographique autant que collective. L’interprète s’échauffe avec son public, l’invite à installer autour d’elles des coussins sur lesquels nous prenons place, et cherche avec nous un état de concentration commune, propre au partage. Alors elle balaye d’un geste les cannettes et cherche son équilibre dans une posture de yoga, la tête au sol et les jambes élevées. Le jupon de sa robe retombe sur son visage ; ainsi dissimulée elle nous raconte sans artifice ses doutes de jeune mère et le souvenir de son père, un immigré hongrois au passé mystérieux. Son monologue est souvent interrompu par le babil de son fils, Ernesto, qui s’agite autour d’elle et bientôt escalade ses jambes, s’installe sur son pubis et dessine au pastel sur ses cuisses.

Elle abandonne sa pose et se lance derrière lui dans une course-poursuite autour des spectateurs, lui en vélo, elle pieds nus, sur les notes langoureuses d’un piano électrique. Elle parvient à l’attraper et l’entraîne sous son jupon, dans une scène incestueuse où l’enfant se débat avec le tissu, le spectateur avec son sentiment de gêne. Cet inconfort partagé est ensuite prestement détourné par une série de jeux de mots qu’elle bafouille en essayant frénétiquement des chaussures. Son choix se porte sur une paire de pointes sur lesquelles elle se hisse péniblement ; elle déambule dans la salle et rejoint Ernesto. Munis d’un sèche-cheveux, la mère et l’enfant juché sur ses épaules soufflent sur un sac plastique qui tournoie au dessus d’eux. Ils le suivent du regard, le rattrapent et leurs gestes enfin s’accordent. Après quelques photos sépias projetées au mur, la pièce s’achève par un curieux karaoké où l’enfant chantonne au micro les paroles d’une chanson populaire sur laquelle sa mère s’époumone et exhorte le public à chanter. HS propose le récit de vie d’un duo fusionnel jusqu’à l’excès, animé par la candeur de l’enfance et ses gestes naïfs. À mettre en scène la maladresse on finit par exhiber la lourdeur.

Pour Go, go, go said the bird la salle est cette fois ci aménagée comme un véritable plateau, autour d’un tapis de sol blanc et de deux écrans. Dans un silence épais surgit une chanteuse aux cheveux rouges qui doucement psalmodie une étrange complainte et imite de sa voix le souffle du vent. Deux danseurs agenouillés l’écoutent puis se mettent en mouvement à mesure que sa voix se mue en un râle sourd, presque inhumain. Sur les écrans apparaissent des formes translucides dont les contours peu à peu se précisent : des images de poissons et de crustacés aux tons rougeoyants, en très gros plan. Dans cette atmosphère aquatique, viscérale, la danseuse se déshabille et son partenaire casse un œuf sur sa poitrine puis le gobe. Il le dépose de nouveau sur la nuque de la jeune femme qui le fait glisser le long de son dos en contractant un à un chacun des muscles de son torse. Ils se retrouvent alors face à face, nus, et placent contre leurs ventres une carafe en verre, qu’ils maintiennent par la pression de leurs corps respectifs. Une scène d’amour entravée, bientôt comblée lorsqu’ils versent sur leurs corps le blanc d’œuf que le récipient contient. Unis par ces filaments d’albumine translucide, ils se cognent l’un contre l’autre ; la voix gutturale de la chanteuse fait écho au bruit humide, collant de leurs chairs qui s’entrechoquent.

Ce partage métaphorique des fluides corporels se poursuit lorsque l’interprète pénètre d’une main sa partenaire, sous le regard attentif de la chanteuse. Son sexe glabre, sa peau luisante et le regard vide des interprètes atténuent cependant la charge érotique de cette scène. Tous deux se frottent alors vigoureusement pour se sécher, tandis que sur les écrans les scènes aquatiques font place à une succession d’images urbaines. Les danseurs enfin se retrouvent dans une longue étreinte que la chanteuse accompagne du feulement sourd de l’échange amoureux. Go, go, go said the bird, inspiré d’un poème de T. S. Eliot, se veut l’incarnation d’un rituel charnel, poétique. Une cérémonie intime dans laquelle les spectateurs semblent illégalement s’immiscer, et recevoir par instants les bribes du souffle qui entre eux circule et les unit. 

Vu au Générateur dans le cadre du festival Faits d’Hiver. Photo Antoine d’Agata.