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What if they went to Moscow ? Christiane Jatahy

Par Sibylle Tailler

Publié le 22 septembre 2014

What if they went to Moscow ? est un spectacle dont on choisit sous quelle forme on souhaite y assister : sous sa forme théâtrale ou sous sa forme filmée. Alors que sur scène les comédiennes sont filmées ou se filment elles-mêmes, les images sont montées en direct et diffusées simultanément dans une salle adjacente. Nous avons opté ici pour la version « théâtre ». La metteure en scène brésilienne Christiane Jatahy s’est inspirée de la pièce de Tchekhov Les trois sœurs. C’est ainsi que le titre de la pièce pose cette question : que serait-il advenu de ces trois sœurs si elles s’étaient finalement rendues à Moscou, ici entendu dans une acception large d’une sorte d’eldorado, d’un ailleurs attractif, loin de la mélancolie et du déclin ambiant.

Sur scène, de petits châssis sur roulettes sont accolés créant un intérieur bourgeois : des murs tapissés d’un motif floral souligné par de hautes plinthes rouges sont percés d’une porte et d’une fenêtre, laissant entrevoir au lointain un paysage de montagnes. Un canapé est disposé face au public. Entourée de chaises, une table est dressée, prête à accueillir des festivités. C’est l’anniversaire d’Irina, la plus jeune des sœurs, que l’on fête – elle a 20 ans – tout en essayant d’oublier que leur père est mort il y a tout juste un an. Olga, la sœur aînée a tout organisé ; Macha arrive avec le gâteau. Le décor est sans cesse mouvant. En fonction des scènes et du cadrage, les éléments sont déplacés et ajustés pendant que les techniciens placent et règlent leurs instruments. Tandis qu’ils viennent également prendre part au repas et aux discussions, Irina immortalise ces moments avec la caméra qui lui a été offerte. Ce double stratagème est habile et facilite l’articulation entre le théâtre et le tournage.

Bientôt, les comédiennes interpellent le public en portugais, puis en français. Nous parlent d’elles et de leur envie à chacune d’une vie nouvelle, elles nous questionnent : « Mais peut-on changer vraiment ? » Olga, en tant que maîtresse de maison, nous offre à boire et à manger, distribuant des verres et des petits fours dans le public. La table est rapprochée des spectateurs du premier rang. Comédiens et spectateurs sont désormais attablés ensemble pour discuter de ce qui les préoccupent. Réflexion sur le rapport de l’être humain à son passé, son présent et son futur – et c’est là que le recours à la vidéo et à la rediffusion prend tout son sens – le spectacle retranscrit les questionnements des trois sœurs de Tchekhov dans le Brésil d’aujourd’hui.

Sensation d’enfermement, regrets, envie de changer les choses mais sans savoir comment, oscilllations entre le rêve et la réalité, l’espoir et le désespoir : les éléments qui tisse le drame tchekhovien sont criants d’actualité. Si la première partie est à la fois drôle, émouvante et profonde, on peut regretter que la seconde soit quelque peu excessive, les effets visuels, certes très esthétiques, prenant le pas sur le discours qui perd en densité. Il faut cependant saluer ce fascinant dispositif tant dans l’entremêlement du théâtre et du cinéma que dans la surprenante relation qui est mise en place avec le public, dont la réussite est sans conteste basée sur la véritable performance de jeu des comédiennes.

Vu au Centquatre-Paris dans le cadre du Festival Temps d’Images. D’après le texte Les Trois Sœurs de Tchekhov. Avec Isabel Teixeira, Julia Bernat et Stella Rabello. Photo Marcelo Lipiani.