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Deux Mille Dix Sept, Maguy Marin

Par François Maurisse

Publié le 8 décembre 2017

Figure aussi respectée que tutélaire dans le paysage de la danse contemporaine française, Maguy Marin, s’adonne depuis maintenant quarante ans à la construction méticuleuse d’une oeuvre engagée, fine et exigeante, à l’aide de pièces aussi marquantes que May B (1981), Groosland (1989), Umwelt (2004) ou BiT (2014). Avec Deux Mille Dix Sept, elle semble vouloir opérer un marquage historique, placer un repère sur l’année qui se termine, dressant le constat pessimiste de l’emprise totale des structures politiques aliénantes sur la société.

Frédéric Lordon, Pascal Michon, Vladimir Jankélévitch, Walter Benjamin … nombreuses sont les références sous lesquelles se place Maguy Marin pour la création de Deux Mille Dix Sept. Cela dit, le discours général de la pièce – sous forme de brulot anti-capitaliste – ne cherche pas à s’attarder sur le détail. Les idées mises en scène sont volontairement grossières, comme pour mieux réveiller, ébranler ou toucher leurs cibles. Dans l’urgence d’une crise, la chorégraphe semble vouloir marquer les esprits par la sécheresse du propos. Faisant appel à une esthétique parfois grotesque ou burlesque, elle dépeint l’image d’un monde prenant pour modèle sa propre caricature.

Après une courte séquence citant la pièce précédente de la chorégraphe, pendant laquelle les danseurs reprennent la farandole chaloupée subitement interrompue à la fin de BiT, les différentes images se succèdent par épisodes dans un rythme de croisière, un certain nombre de saynètes présentant des situations chorégraphiées émergeant tour à tour du noir profond du plateau. Un carnaval de dictateurs fait suite à un face à face de cow-boys Hollywoodiens, la toilette d’une vieille dame précède un ballet de silhouettes en blouses blanches etc. Sur le mode du collage, la chorégraphie semble cependant éminemment contrainte par l’omniprésence de la scénographie et sous le poids de la bande son.

Des stèles sont peu à peu dressées sur l’intégralité du plateau, l’ensemble ressemblant à une sorte de cimetière orthogonal, un grand mémorial des vies gâchées. Une ample toile cousue de drapeaux recouvre soudain l’espace, avant de laisser émerger en son sein des figures boursouflées toute-puissantes, singeant à gros traits l’emprise des groupes financiers et industriels sur le monde. Les images convoquées sont assommantes, à l’image de la musique de Charlie Aubry qui, diffusée à un volume à la limite du tolérable, nous plonge dans un état incommode de confusion perceptive.

Très littéraux, les tableaux représentent autant les rouages de structures macro-économiques (la corruption des dictateurs par la puissance occidentale, la position surplombante des marionnettes de la spéculation sur les vies) que des interactions à l’échelle de la micro-société (l’autorité d’un père sur sa fille par exemple). À grands coups de marteau (et de faucille) Maguy Marin signe ici une pièce pamphlétaire, directe et franche, mais persiste à construire des images d’une beauté et d’une finesse rare. Si on déplore peut être un certain manque de complexité, la forme rigoureuse édifie une série de paysages enivrante. L’image finale matérialise un mur massif, gravé des noms des plus grandes richesses mondiales, semble figurer un cul-de-sac dans lequel l’engouffrement est inévitable. Pourtant, n’est-ce pas justement un des rôles de l’oeuvre d’art que de se risquer à proposer des solutions de franchissement ?

Vu à la Maison des Arts et de la Culture de Créteil, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Conception et chorégraphie Maguy Marin, en étroite collaboration et avec Ulises Alvarez, Charlie Aubry, Laura Frigato, Françoise Leick, Louise Mariotte Mayalen Otondo, Cathy Polo, Ennio Sammarco, Marcelo Sepulveda, Adolfo Vargas. Photo © David Mambouch.