Photo Peter Schnetz

Le Metope Del Partenone, Romeo Castellucci

Par Wilson Le Personnic

Publié le 30 novembre 2015

Second volet du portrait consacré à Romeo Castellucci par le Festival d’Automne à Paris, Le Métope del Partenone poursuit les questionnements déjà au coeur de l’oeuvre de Castellucci depuis de nombreuses années : la tragédie grec. Le titre de la performance fait référence aux frises du Parthénon qui, selon le metteur en scène, ne représentent rien d’autre que « des batailles pour la vie ». Avec Le Métope del Partenone, Castellucci construit ses « propres frises » sous la forme de six tableaux qui se répètent selon un protocole identique à chacun : un mort, une énigme, une réponse. Créé en juin 2015 à la foire d’art contemporain d’Art Basel en Suisse, Le Métope del Partenone trouve aujourd’hui, par un malheureux concours de circonstances, de nouvelles lectures. Les attentats du 13 novembre à Paris se sont déroulés il y a quelques jours, les mémoires sont encore vives et les esprits sont préoccupés par des images qu’on a vu tourner en boucle dans les médias.

Sans gradin ni scène, nous rentrons dans la grande Halle de la Villette légèrement hagards, intimidés par l’immensité de ce lieu vidé de ses artefacts. On marche seul ou par petits groupes dans cette espace où rien ne laisse présager ce qui va se passer. C’est un micro à la main que Roméo Castellucci fait son apparition parmi les spectateurs, à quelques mètres de nous, afin de nous livrer un message : « Cette action a le malheur particulier de contenir des images identiques à ce que les Parisiens viennent de vivre il y a seulement quelques jours. (…) Je suis conscient de cela et je vous demande pardon. Mais je suis impuissant et ne peux rien faire face à l’irréparable que le théâtre représente. » C’est à peine remit de son discours qu’on aperçoit quelques personnes en blouses blanches escorter une jeune femme jusqu’a nous et nous formons, instinctivement, une petite foule autour de ce qui semble être, à première vue, la fabrication d’une scène macabre.

Chacunes leur tour, des « victimes » se font accompagner par une équipe de « techniciens » au milieu des spectateurs avant d’être maquillées devant nos yeux et abandonnées à nos pieds. Des morts accidentelles qui commencent toujours par des cris, des appels à l’aide parfois, auxquels aucun spectateur ne répond. La sirène d’une ambulance finit par résonner de l’autre coté du hangar, elle arrive dans notre direction en klaxonnant et la foule s’écarte automatiquement pour la laisser passer. Une équipe de (vrais) secouristes sortent du camion, préconisent les premiers soins dans l’urgence mais la mort finira toujours par advenir. Six corps recouverts de draps blancs au dessus desquels, des énigmes sont systématiquement projetés et suivies par une question immuable « Qui suis-je? ». Aucun lien évident ne semble se faire entre les mots projetés aux murs et les corps étendus au sol mais on ne peut s’empêcher d’y voir une référence à Œdipe et au sphinx.

Chacun des six tableaux est organisé à vue, devant nous, comme un rituel public, les plaies et les vêtements sont enduits de différents fluides, les bocaux de faux sang sont déversés sur et autour des corps. Les tragédies se répètent inlassablement sous nos yeux et, malgré la fabrication à vue du dispositif, nous ne pouvons qu’être perturbés par le spectacle qui en résulte. Nous sommes comme des badauds curieux après un accident dans une rue : le public forme des cercles autour des corps, certain prennent des photos, d’autres s’écartent ou s’isolent apeurés par ce qu’ils sont en train de voir. Des scènes surréalistes, à la limite du supportable, qui s’impriment dans notre mémoire déjà saturée d’images identiques à celles que nous avons sous les yeux.

À partir de formes et de situations extraites d’une mémoire collective, Romeo Castellucci crée de petites catharsis dont les pouvoirs surpassent de loin la volonté et les attentes, on l’imagine, du metteur en scène italien.

Vu à la Grande Halle de la Villette dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Conception et mise en scène Romeo Castellucci. Musique Scott Gibbons. Devinettes Claudia Castellucci. Effets spéciaux Giovanna Amoroso et Istvan Zimmermann. Photo Peter Schnetz.