Photo Laurent Onde

La Mécanique des ombres, Sylvain Bouillet, Mathieu Desseigne & Lucien Reynès

Par Boris Atrux

Publié le 22 février 2017

Sylvain Bouillet, Mathieu Desseigne et Lucien Reynès forment un trio de chorégraphes et danseurs-acrobates, acolytes depuis longtemps. Après Je suis fait du bruit des autres en 2014, ils signent ici leur deuxième création collective, La Mécanique des Ombres, qui marque aussi le début de leur résidence au CDC – Les Hivernales. Le trouble de cette identité commune les rassemblant va jusqu’à leur donner le même corps, ou presque.

Tous trois vêtus du même uniforme – jean délavé, hoodie sombre relevé sur la tête – les seules parties visibles du corps restent les mains et les pieds. Leurs visages sont masqués par une sorte de cagoule noire qui rends les trois silhouettes similaires. L’effet produit est saisissant en ce qu’il désubjectivise les interprètes, l’oblitération des expressions du visage et du regard oriente toute l’attention sur les gestes et sur les parties visibles du corps, dont l’usage qu’ils en font est vraiment impressionnant. Les sons produits par les articulations du corps au sol, les coudes, les poignets créent un rythme spécifiquement saccadé et le corps devient le principal instrument de la pièce.

Toute la première partie de la pièce est ainsi marquée par des incessants contacts du corps au sol. Alors que les trois corps gisent d’abord par terre, sur la scène nue, seulement délimité par un carré de scotch blanc, tout le début constitue des variantes sur des enjeux de danse et d’acrobatie élémentaires, explorés dans diverses possibilités, et semblent répondre à la question : « comment se mettre debout ». Les trois corps, dysfonctionnels, tout à tour puis de plus en plus ensemble mais sans coordination, par désarticulations et soubresauts, semblent se surprendre à pouvoir fonctionner et surtout à maintenir une position debout.

En très bons interprètes formés à l’acrobatie, à la danse et au théâtre, pour l’un d’en eux de manière autodidacte, la relation de collaboration et d’amitié qu‘ils tissent ne surprends pas. La pièce est en effet tendue vers un mouvement, par à-coups, par chutes, de l’individuel au collectif. Le corps y semble à la fois un corps-matière et un corps-pantin, fort mais rendu fragile par une forme d’incapacité, de mollesse dans les articulations, cette façon de marcher en trébuchant, comme si le sol de la scène se dérobait sans cesse. Cette fragilité, ils la surmontent pourtant par la mise en commun des forces. La Mécanique des Ombres s’apparente ainsi à un travail sculptural, à des constructions successives se défaisant pour se refaire.

Un enchainement très beau vers le mi-temps de la pièce voit ainsi s’échafauder entre eux trois une suite de mouvements où les trois corps essaient de maintenir un équilibre dans leur fébrilité même, équilibre échouant mais dont la lente chute vient entrainer l’enchainement suivant, et ainsi de suite. Mais parler de chute serait erroné tant ce qui touche et surprends est justement cette façon de se soutenir les uns les autres pour éviter la chute au sol. Ils chorégraphient ainsi, après ce qui semblait être la dislocation du début, une danse de d’aide, du soutien, une danse destinée à chacun d’empêcher de se faire mal : se remettre aux autres complètement comme seule destinée collective possible.

La Mécanique des Ombres ressemble ainsi, dans un mouvement subtil, à une progression vers l’articulation. Une progression non-linéaire cependant, car si la pièce se clôt sur une ronde magnifique, elle ménage aussi d’autres moments de défaites des corps. Ce qu’il en ressort c’est une montée finalement joyeuse, même si ces corps ne sont jamais des corps glorieux, dans un mélange de fragilité et de force.

Vu au CDC d’Avignon, dans le cadre du 39e festival Les Hivernales. Chorégraphie et mise en scène : Sylvain Bouillet, Mathieu Desseigne et Lucien Reynès. Photo © Laurent Onde.