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Maria Stuarda, Moshe Leiser & Patrice Caurier

Par Yannick Bezin

Publié le 19 juin 2015

Durant son long emprisonnement, Marie Stuart aurait brodé sur sa robe : « En ma fin est mon commencement ». Cette phrase mystérieuse sert de point de départ à la mise en scène de Maria Stuarda de Donizetti, proposée par le duo Moshe Leiser et Patrice Caurier, au Théâtre des Champs-Élysées. Cette phrase s’incarne même scéniquement puisque l’opéra commence par l’exécution de Maria. Cette scène de violence initiale, inspirée par la force de l’ouverture musicale elle-même, nous informe immédiatement de la nature de la représentation scénique à laquelle nous allons assister : un drame. Rien, aucune action, aucun discours, aucune supplique, aucun événement ne viendra empêcher cette fin inéluctable. Tout ce à quoi nous allons assister sera le long parcours menant à cette mort et permettant de lui donner un sens. Cette scène d’ouverture inscrit l’œuvre de Donizetti sous le signe de la violence, tout en en conjurant la représentation. Elle donne ainsi d’emblée à l’opposition des deux reines, Elisabetta la catholique et Maria la protestante, une dimension supplémentaire à celle de la simple jalousie amoureuse : une dimension éminemment politique.

De plus, cette scène permet à Moshe Leiser et Patrice Caurier de présenter immédiatement leurs choix esthétiques et dramaturgiques. La première fin à laquelle nous assistons dans un clair-obscur inquiétant peut être celle de Marie Stuart, la personne historique. Avec l’ouverture de l’opéra commence alors pour elle une autre vie : celle d’un personnage dont les différents arts vont s’emparer. Marie Stuart peut devenir Maria Stuarda. Le librettiste, Giuseppe Bardani, ne s’est en effet que bien peu préoccupé de la vérité historique, en dehors du cadre de l’intrigue. Ce qu’il nous présente alors et que Donizetti donne à sentir par sa musique, est d’abord l’opposition de deux fortes personnalités (acte 1), puis la catharsis de celle qui est condamnée, lui permettant de devenir justement ce personnage dramatique que nous admirons (acte 2).

Loin du style troubadour en vogue en Europe au moment de la composition de l’œuvre, la mise en scène actualise symboliquement l’opposition des deux reines et la place au centre du drame. Seules Elisabetta et Maria seront en costume historique ; l’ensemble des autres protagonistes, les seconds rôles masculins comme les chœurs, seront en costumes contemporains. Au début du premier acte, quelques canapés Chesterfield et une toile de fond évoquant le palais de Westminster suffisent à situer géographiquement l’action. Puis, comme Maria, le spectateur ne quittera plus la prison. Il est d’ailleurs étonnant qu’un tel lieu, que bien peu ont connu d’expérience, habite l’imaginaire contemporain au point de lui conférer une certaine familiarité. Les metteurs en scène, là aussi n’offrent aucune échappatoire à Maria : pas de parc, pas de bosquet, pas de vue sur la mer comme l’indique le livret. Le panorama que Marie évoque avec Anna ne relève que du souvenir activé par une projection de diapositive. La claustration de Marie s’achèvera même dans un espace encore plus restreint. La salle d’exécution délimite sur la scène un espace clinique, à l’opposé de la noirceur de la décapitation initiale. Au moment fatidique, ce lieu de l’exercice du pouvoir sera fermé (révélant enfin le sens d’un des rideaux de scène) mais il n’interdit pas cependant la communication, seule à même de donner du sens à une condamnation arbitraire qui, en dernière instance, est assumée comme un sacrifice. Ayant fait ses adieux au monde, Maria devient pour le peuple rassemblé en une veillée funèbre contemporaine, une figure de rédemption protectrice du royaume.

Elisabetta et Maria sont deux rôles plus exigeants vocalement que scéniquement. Le chef d’orchestre Daniele Callegari, a fait le choix de les distribuer à deux sopranos. Carmen Giannattasio est irréprochable de bout en bout dans le rôle de la Reine Vierge, tandis qu’Aleksandra Kurzak met plus de temps à se jouer des difficultés de la partition. La justesse dans l’aigu qui faisait défaut au début de sa prestation se gagne progressivement au cours de la représentation. Plus à l’aise dans le registre de la déploration et de la lamentation que dans celui de l’invective ou de la confrontation, ses adieux émeuvent donc bien plus. Les quatre seconds rôles sont très justes, tout particulièrement le Leicester de Francesco Demuro qui n’empiète jamais au-delà des dimensions limitées du rôle, lui assurant ainsi sa crédibilité. Daniele Callegari, à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris, est en terrain familier et sa direction souligne parfaitement l’inexorabilité du drame.

Vu au Théâtre des Champs-Élysées. Direction Daniele Callegari. Mise en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier. Avec Aleksandra Kurzak Maria Stuarda, Carmen Giannattasio Elisabeth, Francesco Demuro, Carlo Colombara, Christian Helmer et Sophie Pondjiclis. Photo Vincent Pontet.