Photo Mats Bäcker

Icon, Sidi Larbi Cherkaoui

Par François Maurisse & Wilson Le Personnic

Publié le 31 mai 2017

Après Puz/zle l’automne dernier à la Philharmonie de Paris et la reprise de son Bolero par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier ces dernières semaines, le danseur et chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui fait aujourd’hui halte à La Villette pour y présenter sa dernière création pour la première fois en France : Icon. Fruit d’une seconde collaboration entre sa compagnie de danse Eastman et les danseurs de l’Opéra de Göteborg (après Noetic en 2014), cette pièce signe également les retrouvailles du chorégraphe avec le plasticien britannique Antony Gormley qui a deja signé les décors de quatre de ces précédentes pièces.

Grande figure de la danse flamande, Sidi Larbi Cherkaoui a signé depuis les années 2000 une série de pièces qui ont fait date et chacune de ses nouvelles créations est toujours attendue et accueillie comme un événement. À la tête d’un large répertoire de spectacles, il créé des pièces pour les plus grandes compagnies internationales et collabore avec des artistes de renoms (dont Akram Khan, Sasha Waltz, María Pagés…). Aujourd’hui, en plus d’être à la direction de sa compagnie Eastman, Sidi Larbi Cherkaoui est artiste associé à Sadler’s Wells à Londres et est directeur directeur artistique du Ballet Royal de Flandre.

Caché derrière un tulle blanc qui fait office de fond de scène, des chanteurs et des musiciens live accompagnent l’entrée des danseurs sur le plateau. Pendant tout le spectacle, c’est une musique cosmopolite (certains musiciens sont japonais, d’autres coréens, d’autres encore héritiers de la tradition occidentale) qui résonne, parfois à vue, parfois dissimulée. Le plateau est un grand white cube dont le sol est en partie recouvert de plaques d’argile molle, et de petites figurines (qui rappèle sa célèbre installation Field composée de milliers de petites sculptures en terre cuite) sont placées par petits groupes sur l’avant-scène.

Pour ce qui est de la chorégraphie, l’accent est mis sur le collectif. Partageant appuis et partitions communes, les danseurs déploient des gestes ronds et amples, qui rappellent de temps à autre le flying low. Ces phrases chorales sont entrecoupées de passages en solo, qui mettent en scène des corps malléables, souples, filant la métaphore de ces danseurs-golems, façonnant objets, parures et mouvements à partir de la glaise présente sur le plateau, qui peu à peu teinte aussi la surface de leurs peaux, une fois les costumes ôtés.

Dans une deuxième partie plus intense que la première, l’écriture du geste se fait plus brute, moins maniérée qu’au départ. L’argile est écrasée, malaxée et claquée violemment : elle sert à modeler de véritables armures composées de casques, d’armes et de cuirasses. Elle servira ensuite à la lapidation d’un personnage féminin, prendra l’apparence de postiches sexuels, ou permettra l’enlisement des corps, en les pétrifiant littéralement, dans la pantomime d’une cérémonie funéraire. Finalement, l’ensemble du collectif rassemble ces forces pour la fabrication d’un bonhomme géant, d’abord couché, puis finalement accroupi en une posture pensive, à leur effigie.

Avec Icon, le chorégraphe flamand continue d’explorer les possibilités synergiques du groupe, travail déjà entrepris dans Babel (words) ou Puz/zle, les possibilités d’une énergie continue, comme contagieuse d’un danseur à l’autre, à la manière de vagues secouant un corps collectif, produisant de grandiloquents tableaux chorégraphiques dans lesquels nous reconnaissons la pâte du chorégraphe. Malgré une écriture chorégraphique précise et une attention particulière portée à l’aspect visuel général du spectacle, la beauté irréprochable des séquences peine cependant à offrir une consistance idéologique ou politique à l’ensemble de la pièce, mettant alors l’accent sur la simple maîtrise technique et la richesse ornementale, indéniablement séduisantes au vu de l’ovation offerte par le public parisien hier soir.

Vu à la Villette à Paris. Chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui. Musique De Et Chanté Par Anna Sato & Patrizia Bovi. Décors Antony Gormley. Costumes Jan-Jan Van Essche. Éclairages David Stokholm. Dansé Par Eastman Göteborgsoperans Danskompani. Musiciens Anna Sato, Patrizia Bovi, Tsubasa Hori, Kazunari Abe, Woojae Park. Photo de Mats Bäcker.