Photo Christophe Raynaud de Lage

Grande Finale, Hofesh Shechter

Par François Maurisse & Wilson Le Personnic

Publié le 30 juin 2017

En moins d’une décennie, le chorégraphe Hofesh Shechter s’est imposé comme l’une des figures les plus reconnues de la scène internationale. Ancien danseur de la Batsheva Dance Company en Israel il est aujourd’hui artiste associé au Sadler’s Wells Theater à Londres (au même titre que d’autres chorégraphes de renoms tel que Akram Khan, Wayne McGregor ou encore Crystal Pite) et sa compagnie est résidente du Brighton Dome. 

Présentée en première mondiale à la Grande Halle de la Villette à Paris dans le cadre de la programmation hors-les-mur du Théâtre de la Ville, sa nouvelle création Grand Finale est sans nul doute le bouquet final de cette saison. Après Sun (2013) et Barbarians (2015) qui nous avaient laissé quelque peu échaudé, le chorégraphe revient à la fièvre salvatrice de ses premières productions In your roomsUprising, et Political Mother et renoue avec la passion dévastatrice qui l’avait propulsé à l’époque sur le devant de la scène internationale. Pièce d’envergure, Grand Finale continue d’allier la vigueur de la musique (toujours composée par Hofesh Shechter lui-même) avec l’énergie déployé par les danseurs virtuoses de sa compagnie. Caractéristique du travail de l’auteur, la musique assourdissante va impulser l’écriture brute du chorégraphe et va porter les interprètes (six hommes et quatre femmes) tout du long, comme électrisés par les tonnerres de percussions.

Dans l’obscurité de la salle, un brouillard dense baigne le plateau où cohabitent les danseurs , des fragments de décors et un orchestre à mi-chemin entre la formation klezmer et le quintette à cordes. Dès le début du spectacle et jusqu’à l’entracte, le rythme de la pièce est entrecoupées par des noirs elliptiques, offrant de nouveaux tableaux à chaque fois que la lumière se rallume. Naviguant parmi les hauts monolithes, l’orchestre et les danseurs se déplacent sur le plateau furtivement, renouvelant un effet de surprise à chaque nouvelle séquence. La danse, très énergique, insiste sur le contraste entre une une écriture du geste très fluide, légère, douce et giratoire, et une autre qualité de mouvement plus abrupte, tellurique, passionnée et parfois violente, dans laquelle on peut percevoir l’influence des danses folkloriques de la tradition juive. Soudain, sans crier gare, un danseur inerte est déposé sur une chaise en avant-scène, on lui enfile autour du coup une pancarte sur laquelle est griffonné « entracte ».

Plus courte, cette deuxième partie du spectacle est portée par une toute autre énergie. Les danseurs qui étaient jusque là vêtus de costumes au couleurs douces, beiges, gris, ocres, ont désormais enfilés des vêtements de sport plus contemporains. La partition chorégraphique y est moins fragmentée, dans une effusion de gestes à la fois martiaux et mystiques. À la manière d’un leitmotiv présent dans tout le spectacle, des duos de porté/porteur font indéniablement penser à scènes morbides, des corps sont trainés, soulevés, emportés comme des cadavres. Nous retrouvons ici également quelques séquences de danse propres à l’écriture de Shechter, pendant que les interprètes s’agitent de façon collective, les bras vers le ciel, les visages relevés sous des douches de lumières, comme à la recherche d’un appui divin. Au fil des dernières séquences, le décors se resserre peu à peu sur les danseurs jusqu’à les emmurer au sein d’un espace exigu. Dans les dernières secondes avant le noir final, le mur qui barrait la route à cette communauté éphémère finit par s’éloigner et disparaitre, dégageant alors une étendue sombre et floue, permettant peut être d’envisager la possibilité d’une fuite.

Traversé par des sentiments extrêmes, Grand Finale semble s’évertuer à saisir les plus infimes vibrations du monde actuel, assumant tant la jubilation que l’angoisse menaçante. Hofesh Shechter parvient avec brio à jongler avec ces deux extrêmes, créant des tableaux d’une beauté et d’une violence saisissantes, nous laissant indécis quant à nos émotions à la sortie de la salle, entre l’impression d’euphorie et de mélancolie passagère.

Vu à la Villette (Théâtre de la Ville hors les murs). Chorégraphie et musique Hofesh Shechter. Avec Chien-Ming Chang, Frédéric Despierre, Rachel Fallon, Mickael Frappat, Yeji Kim, Kim Kohlmann, Erion Kruja, Merel Lammers, Attila Ronai, Diogo Sousa. Musiciens James Adams, Chris Allan, Rebekah Allan, Mehdi Ganjvar, Sabio Janiak, Desmond Neysmith. Photo © Christophe Raynaud de Lage.