Photo Marc Domage

Leçon de Théâtre et de Ténèbres : Yves-Noël Genod au Théâtre du Point du Jour

Par Quentin Thirionet

Publié le 4 novembre 2015

« Si c’est beau, on s’en tiendra là », « Leçon de Théâtre et de ténèbres », et tout est ainsi justifié. De ces intitulés potentiels, Yves-Noël Genod aura préféré le second pour baptiser sa série spectaculaire au Théâtre du Point du Jour, à Lyon. Là où le premier se veut plus éloquent quant à la nature même de son entreprise poétique et de son protocole, l’autre prononce un engagement puissant à l’égard du plateau et de son public. Dés lors, première leçon, il y aura ténèbres – mystérieusement multiples – et Théâtre.

Après deux saisons à faire vivre son concept de Théâtre Permanent et l’invitation du Collectif X dans ses quartiers, Gwenaël Morin laisse cette année la place nette à trois metteurs en scène conviés à tenir à leur tour la permanence de ce théâtre « noirci à la craie », comme l’aime à dire son premier invité. Philippe Vincent et Nathalie Béasse prendront ainsi le relais d’Yves-Noël Genod qui inaugure alors la passation de cette saison, tandis que les Molières de Vitez, mis en scène par le directeur, commencent leur tournée.

Yves-Noël Genod se présente lui-même comme re-distributeur plutôt qu’inventeur. Après une carrière aux cotés de Claude Régy ou Julie Brochen, le comédien se plait à la mise en scène, la performance ou la chorégraphie et cultivera les arcanes de ses spectacles au fil de ses (très) nombreuses productions. Avant son débarquement lyonnais, c’était Baudelaire qu’il récitait seul dans le noir à Avignon ou au Théâtre du Rond-Point. La curiosité du personnage s’apprécie ainsi à l’aune de ses spectacles à la beauté crue, fascinante et sans fard, comme à sa superbe sympathique, rassurée par son investissement entier, intuitif et résolu pour l’art de la scène.

Sur les planches du Point du Jour, ce sont déjà trois épisodes qui ont été représentés. Manuel de Liberté, Les Entreprises Tremblées et Or précèdent ainsi La Splendide Actrice, N°5, Leçon de ténèbres, Rester Vivant, et le sixième épisode dont le titre reste à trouver. En effet, même si les objectifs et les distributions ont été réfléchis en amont (comme en témoignent les journaux qui révèlent au fur et à mesure de leurs publications hebdomadaires les notes d’intention envoyées aux acteurs pendant l’été), les spectacles sont créés sur la période-même de la série théâtrale. Ce sont donc de véritables expériences à peine aguerries par quelques avant-premières qui sont présentées au public, fraiches et frêles de n’avoir été longuement travaillées. Mais plutôt que de s’installer dans le développement progressif et le discours continu, Yves-Noël Genod s’attache à surprendre son monde en ne s’imposant aucune forme. « Si c’est beau, on s’en tiendra là ». De la lente et tumultueuse performance dansée/chantée/jouée, à l’incarnation simultanée de tout Mac Beth et La Cerisaie par deux comédiens en passant par une variation sur Carmen, le panel s’ouvre aux perspectives les plus inattendues pourtant toujours dirigées par l’amour et la beauté, si convoités. Ici le théâtre exalte, ravit, chavire et illumine. Dans les creux immenses (terribles) de l’obscurité ou face au réel sublimé, on se retrouve bercé par un enchantement esthétique qui nous rappelle au monde et à ses joies. A l’heure où le souci du précieux se cultive par quelques rares audacieux, les instants d’égarement se font potentiels face aux propositions du metteur en scène. Mais le sensible ne s’occupe pas de logos quand de telles forces poétiques s’affairent à sa portée. C’est beau, on s’en tient là.

À ces divers égards, ce rituel hebdomadaire devient plaisir routinier, bouffée d’air et de liberté qui l’impose simplement en rendez-vous attendu. La leçon se conforte et nous (ré-)apprend le goût des horizons chimériques offert par le poète-voyant rimbaldien. Le goût des ténèbres, et celui des belles choses.

Yves-Noël Genod, jusqu’au 31 décembre au Théâtre du Point du Jour. Photo de Marc Domage