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William Forsythe / Compañía Nacional de Danza

Par Céline Gauthier

Publié le 4 juillet 2018

La troupe de la Compañía Nacional de Danza, dirigée par José Martinez (ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris), consacre une soirée d’hommage à William Forsythe. Autour de trois pièces fétiches du chorégraphe américain – The Vertiginous Thrill of Exactitude (1996), Artifact Suite (2004) et Enemy in the Figure (1989) – la compagnie espagnole présente une danse rigoureuse et atemporelle, comme un pas de côté dans la programmation éclectique et pointue du festival Montpellier Danse.

Sur la 9ème Symphonie de Schubert s’ouvre The Vertiginous Thrill of Exactitude, un quintet très classique au charme un peu désuet. Les danseurs ont revêtu de surprenants costumes bifaces et des tutus à plateaux aux lignes futuristes pour déployer un vocabulaire de gestes encore fortement empreints de l’esthétique du ballet. Cependant, on décèle derrière les retirés et les entrechats une fougue et une exubérance très contemporaines : des sauts de chats vigoureux, de puissants élans dans l’amorce d’une arabesque comme pour s’arracher du sol.  Les variations de rythmes, l’expressivité des ports de bras et des visages suggèrent l’influence de l’esthétique flamenca.

Pour Artifact Suite, toute en nuances de clair-obscur, le corps de ballet investit le plateau baigné d’une lueur mordorée. La pièce est fragmentée en de très brefs tableaux, de quelques secondes à plusieurs minutes, entrecoupés par la descente du rideau de scène. La troupe de danseurs compose, d’un hochement de tête ou d’un bras dressé à l’unisson, une forêt de corps kaléidoscopiques dont les lignes et les ombres se diffractent sur la toile de fond de scène. Les rangées de danseurs presque immobiles imposent par leur nombre et leur stature une présence qui sert d’écrin aux silhouettes des solistes entourés de pénombre : en duos, ils explorent la souplesse d’une danse d’équilibristes et de figures élastiques. Les portés, parfois acrobatiques, exposent des corps musclés et parfois râblés, toujours très expressifs et peu habituels dans l’esthétique du ballet : on aperçoit le halo de chaleur qui les entoure, la force de la poussée de leurs paumes lorsqu’en duo ils prennent appui l’un contre l’autre. Quelques réminiscences de figures de la danse classiques apparaissent par instant, comme pour ponctuer d’accents formels un mouvement agile de circonvolutions perpétuelles, encore accentuées par le déhanchement du bassin. Ils se faufilent dans les bras l’un de l’autre, pirouettent les genoux pliés pour augmenter l’amplitude de la rotation et s’étirent en d’immenses grands écarts renversés. L’impulsion de chaque geste naît d’une prodigieuse cambrure des reins qui rejette les épaules en arrière et libère le bassin, pour une danse en trompe l’œil, qui déconstruit et fragmente la gestuelle classique.

La soirée se clôt avec Enemy in the Figure, un chef d’oeuvre ciselé comme un ouvrage de dentelle : sur la musique de Thom Whillem, lunaire et contemplative, les danseurs deviennent les protagonistes d’une mise en scène audacieuse. Un immense panneau sombre occupe le centre de la scène, tandis que les interprètes manipulent eux-mêmes les projecteurs qui accompagnent les mouvements de leurs partenaires. De l’obscurité à la lumière la plus crue, la gestuelle esthétisée de la danse néo-classique de Forsythe est rehaussée par la présence des objets : une corde qui ondule au sol évoque le frétillement des jambes d’une danseuse, le glissement d’un projecteur souligne leur démarche de patineurs, qui semblent glisser au sol et se contorsionner sans fin, vêtus d’académiques ou de costumes à franges et volants qui se soulèvent autour d’eux.

Vu à l’Opéra Berlioz / Le Corum, dans le cadre du festival Montpellier Danse. Photo Artifact Suite © Jesús Vallinas.