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Formation, Emmanuelle Huynh & Nicolas Floc’h

Par Céline Gauthier

Publié le 7 décembre 2017

La chorégraphe Emmanuelle Huynh signe avec Formation un ensemble choral de duos et quatuors, qui se déroulent à la mesure du temps de la vie humaine : la pièce se veut la métaphore des multiples instants qui cristallisent le parcours d’apprentissage de chaque individu. Quatre danseurs se partagent le plateau modelé par la scénographie en forme de « sculpture-partition » du plasticien Nicolas Floc’h.

La pièce se déroule comme une succession de tableaux, après un bref prologue en duo. Dos à dos ou l’un sur l’autre deux hommes, à demi-nus, se partagent la mise en scène d’une lecture du texte éponyme de Pierre Guyotat. Tandis que l’un articule les syllabes d’une voix heurtée l’autre le soutient, tel un lutrin, ou prend appui sur lui. La diction rude et saccadée tranche avec l’élasticité de leurs gestes.

Le quatuor réunit un représentant de chaque âge de la vie : une fillette et un jeune homme, un adulte dans la force de l’âge et une danseuse grisonnante. Tous partagent pourtant sur scène la même intensité de gestes, doux et délicats : ils donnent à leurs déplacements – au sol ou en contact avec leur partenaire – une cadence souple et fluide, proche de l’apesanteur. Dans un glissement ils s’esquivent, par une infime courbure du buste ils s’accueillent dans un porté.  Leurs paumes de mains se joignent et parfois s’unissent dans une brève caresse, leurs dos s’épousent pour un temps de repos. Guidés par les mains de l’autre, apposées sur la taille ou le front, ils se laissent glisser jusqu’au sol ; un abandon souple et serein, pourtant sans mollesse. Les quatre corps semblent se confondre en un écheveau de membres, de bustes et de têtes ; une impression encore accentuée par leurs costumes couleur chair et l’éclairage tamisé, dans un silence moelleux parfois entrecoupé d’éclats de voix épars, en sourdine, d’un tintement ou de quelques notes de piano.

Le quatuor est réuni au centre de la scène, délimitée par de longues baguettes noir disposées en rectangle autour d’eux : ils les saisissent à la manière des perches de gondoliers et semblent glisser sans bruit à la surface du plateau. Tous ensemble ils assemblent et déplacent ces fines baguettes, dessinant grâce à leurs extrémités aimantées des arcs et des lignes qui quadrillent la scène ; parfois s’esquissent d’inquiétantes architectures de toiles arachnéennes ou de nasses enchevêtrées dans les interstices desquelles ils se faufilent.

Cependant très vite la présence du texte devient insistante, récité en voix-off ou déclamé par les danseurs, et sa lecture parasite l’attention autant qu’elle modifie sensiblement l’équilibre du quatuor : l’effort d’articulation requiert chez les interprètes une tension de tout le corps, très visible parce qu’elle brouille la si fine qualité des gestes jusqu’ici déployée. À l’écoute des corps se substitue autoritairement l’audition forcée d’un absurde babil, auquel les danseurs ne peuvent répondre que par des spasmes qui les isolent et achèvent d’anéantir la cohérence de la pièce.

Vu au Théâtre de la Cité internationale de Paris, dans le cadre de New Settings, un programme de la Fondation d’entreprise Hermès. Conception et chorégraphie Emmanuelle Huynh, scénographie Nicolas Floc’h. Sonographie et accompagnement général Matthieu Doze. Lumières Sylvie Garrot. Costumes Thierry Grapotte. Avec Imane Alguimaret, Nuno Bizarro, Kate Giquel et Joaquim Pavy. Photo © Marc Domage.