Photo Jean Luc Beaujault

L’Après-midi d’un foehn, Phia Ménard

Par Quentin Thirionet

Publié le 14 juin 2016

En 1876, Mallarmé publie L’Après-midi d’un Faune décrivant les rêves et les désirs de cette créature légendaire, figure mytholo-magique de la nature, lascive et bucolique. Debussy s’inspirera plus tard de cette églogue pour en écrire le Prélude qui se verra ensuite adapté en ballet par Nijinsky. Plus qu’une pastorale légère et romantique, c’est l’évocation mystique d’une nature grondante et caressante – hypnotique – gouvernant toute chose, qui attire les poètes en son sein. Avec l’Après-midi d’un Foehn de la compagnie Non Nova, nous sommes invités à plonger au cœur de cet envoutement magique où l’illusion utopique de l’air maitrisé donne vie à l’inhabité, le plastique – paradoxe émerveillé d’une nature absolue.

En enchanteresse aguerrie, Phia Ménard mélange les genres et les disciplines pour « voir différemment » et approcher ainsi au plus près de l’utopie. Avec son processus de recherche I.C.E (pour Injonglabilité Complémentaire des Élements), la jongleuse-performeuse-marionettiste-chorégraphe-et-qu’en-sais-je s’intéresse à l’identité à travers le prisme de l’interaction entre l’humain et les éléments naturels. De cette démarche ont émergé les Cycles de la Glace et du Vent, et s’ouvre dernièrement sur le Cycle de l’Eau et de la Vapeur. Au cœur d’un dispositif intimiste installant le public sur un gradin circulaire autour d’un petit espace de plateau encerclé par une batterie discrète de ventilateurs, les pièces Vortex et l’Après-midi d’un Foehn constituent ce Cycle du Vent. Cette dernière sera la plus fantaisiste des deux, plus encline à s’ouvrir à l’imaginaire des plus petits – universelle pour autant.

Une paire de ciseaux, deux sacs plastiques, un rouleau de scotch, et une manipulatrice qui s’active le geste sûr, rituel, à assembler le tout. Puis la magicienne s’efface en laissant seule son œuvre a priori achevée, et laisse faire le vent. La boule de plastique s’éveille alors, tremblante, ahurie, avant de s’ouvrir entièrement dans une première respiration. Un être est né, enfant de l’air et de la nature – omniprésente dans la création sonore en multidiffusion comme dans la musique de Debussy. Déjà, la magie opère sous nos yeux et donnera le ton du grand spectacle ainsi introduit. Le sylphe de plastique a en effet forme humaine, se déplace seul, maladroitement d’abord, gracieusement ensuite dés lors qu’il apprend à s’émanciper de la gravité.

La marionnettiste fait ici figure de mère-medium, invoquant des puissances occultes pour insuffler la vie à ces lutins danseurs. Le dernier-né de la fratrie sera quant à lui le fil d’un parcours initiatique qui nous présentera les arcanes de ce monde magique aux génies fantastiques « existés » par le souffle, appareil extraordinaire de ce cirque du vent. Ballet-tourbillon, Dragon-tempête, tornade-géant ou brise-guillerette, autant de créatures, d’épisodes et de paysages que de manipulations directes ou indirectes de la marionnettiste qui, son équipe aux manettes, contrôle avec une précision aigüe la mécanique de l’air, fluide invisible mais bien réel. Les dépressions, trous d’air, vortex et accalmies permettent dés lors toute une palette d’expression à cette histoire qui ne cesse d’ébahir et d’extasier par sa puissance technique et poétique. C’est ainsi que – en s’adaptant librement au commentaire de Debussy sur son propre Prélude – l’on se laisse aller au souffle enivrant, rempli de songes enfin réalisés, de possession totale dans l’universelle nature.

Vu au TNG à Lyon. Direction artistique, chorégraphie et scénographie Phia Ménard. Interprétation en alternance Cécile Briand et Silvano Nogueira, Lumière Alice Rüest. Photo Jean-Luc Beaujault.