Photo © Laurent Philippe 2.

Flood, Daniel Linehan

Par Céline Gauthier

Publié le 22 janvier 2018

Le chorégraphe Daniel Linehan, que l’on connaissait pour ses performances chorégraphiques et vocales, orchestre avec Flood une pièce pour quatre interprètes avec ses partenaires de la compagnie Hiatus. Si le titre laisse présager une spectaculaire inondation, c’est finalement un véritable déluge de gestes et d’inventions vocales qui déferle sur la scène, porté par une composition épurée.

Sans attendre l’arrivée des spectateurs, trois hommes et une femme parcourent sans relâche le plateau occupé par un immense mobile de voilages blancs dont les bords semblent brunâtres, comme rongés ou brûlés. Les danseurs s’y réfugient entre chaque boucle sérielle ; leurs silhouettes n’y sont plus qu’ombres solennelles et mystérieuses parmi les tentures, dissimulés ou démultipliés par l’épaisseur des rangs de tissu.

Sur la scène, ils accomplissent avec minutie une partition en apparence abstraite de marches, d’immobilités et de petites pantomimes. Leur cadence est incessante, leurs gestuelle anguleuse ; aux jeux de mains se mêlent progressivement quelques cris brefs, une respiration sifflante. Les gestes fusent, entrecoupés de quelques bruits électroniques, d’une mélodie intermittente de chuintements et de pépiements : les danseurs accompagnent chaque mouvement d’un éclat de voix, souvent cacophonique et dissonant, parfois presque intelligible lorsqu’ils articulent onomatopées et gargouillis. Une explosion de cris guerriers et de grognements semble lancée comme une exhortation lors de facétieux duels.

La géométrie orthogonale et anguleuse des gestes est sans cesse déjouée par ces soudaines incursions enfantines, ludiques aussi, à la manière des personnages d’une bande dessinée dont les costumes noirs sont rehaussés de broderies et d’imprimés ou d’un entrelacs de fils électriques colorés cousus sur la chemise. Chaque geste, chaque son semble ainsi éveiller les souvenirs d’objets ou de matières autrefois éprouvés : la mémoire de mouvements attendus ou manqués, d’étreintes déjouées dont ils gardent la trace et l’empreinte dans le creux de leurs mains ; ils en prennent la mesure, la moulent dans leurs paumes. Les quatre corps semblent illimités, traversés de mouvements saccadés, robotiques ou plus félins, séducteurs parfois, toujours surprenants. Ainsi l’un d’eux manipule le corps de son partenaire qui, tel un pantin articulé, relève un de ses membres dès qu’on tente de le plaquer au sol ; plus tard, les quatre danseurs s’effleurent et se touchent : le moindre contact sur la peau déchaîne une gamme nourrie d’exclamations et de feulements qui selon leur intensité signalent la douceur ou l’intensité du toucher. L’ensemble est parfois assourdissant, Babel impénétrable dont les échos bruissants confinent à la synesthésie.

Pendant plus d’une heure les courtes séquences se succèdent, presque identiques. Notre attention est pourtant déjouée par d’infimes variations dans la structure ou l’intensité des mouvements : peu à peu on perçoit avec plus d’acuité leurs fines modulations. Flood donne ainsi à éprouver l’obsolescence potentielle de chaque geste, ici sans cesse contrée par leur constante réapparition – à la manière de lambeaux toutefois – de fragments ténus peu à peu disloqués à mesure qu’ils se répètent.

Vu au Centre Pompidou, dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville. Concept, chorégraphie Daniel Linehan. Avec Erik Eriksson, Michael Helland, Anneleen Keppens, Victor Pérez Armero. Photo © Laurent Philippe.