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Un faible degré d’originalité, Antoine Defoort

Par Quentin Thirionet

Publié le 6 octobre 2015

On connait l’Amicale de Production pour ses spectacles-performances à l’esprit fameusement tordu, qui empruntent parfois avec amusement aux conférences et autres démonstrations de pensée leurs codes surannés et leur méthodologie scientifique. Avec Un faible degré d’originalité, Antoine Defoort, membre-fondateur de cette « coopérative de projets artistiques », s’éloigne doucement des digressions sensées pour jouer à son tour des codes du spectacle et faire conférence. Il nous propose ainsi une réflexion précise et poussée sur la question des droits d’auteurs qui, loin du bâillement juridique, en dit long sur le cheminement philosophique et anthropologique du système occidental.

La causerie commence par un de ces tarabiscotages cher à cet amateur de réflexions du dimanche qui tient son fil jusqu’à interpréter en solo a capella une scène entière des Parapluies de Cherbourg. Cette parodie cocasse nous introduit vers le sujet de la protection des droits d’auteurs et, du coq à l’âne, l’on se retrouve plantés dans nos chaussures de randonnées, prêts à gravir les « montagnes embrumées de la propriété intellectuelle ».  C’est ainsi, avec forces images fantasques, enfantines et – parfois – poétiques, qu’Antoine Defoort nous mène au gré de ses élucubrations drôlement assumées le long de la frise chronologique du droit d’auteur, vers l’éclaircissement de cette question pâmée d’ombres mystérieuses. Car, en effet, tout est clair, limpide. Jamais l’orateur ne laisse son auditoire en berne et c’est avec un réel plaisir que l’ensemble du public – discrètement mis en lumière – suit activement cette réflexion ludique et didactique. Les rouages pompiers des conférences sont raillés avec justesse et simplicité par une mise en scène minimaliste qui « évoque davantage un dimanche après-midi entre amis qu’un cours de droit » ; alors on comprend mieux, on apprend beaucoup, on s’amuse un peu et l’on se sent bien.

Puis vient le moment où la leçon s’ouvre vers l’opinion. On s’étonne de ne plus parler de droit des créateurs mais bien de « droit des héritiers et des éditeurs et un petit peu des auteurs ». L’absurdité apparente des législateurs se révèle plus calculée, moins pardonnable. Internet et ses possibilités infinies en matière de diffusion, renouant avec la volonté première du droit d’auteur d’encourager l’art et les idées, est torturé par un paradoxe inouï orchestré par cette même propriété intellectuelle. On se révolte tranquillement, en regrettant quelque peu que la dénonciation ne soit pas plus acerbe et personnelle, trop soucieuse de laisser le champ libre aux points de vue. Quelques alternatives sont trop rapidement énoncées, l’essentiel étant apparemment d’informer, d’intéresser et de laisser les réactions s’opérer de leurs pleins grés. Du reste, la somme d’information ingérée est suffisante pour se sentir concerné en profondeur et éveiller un sursaut de contestation. Et si la mémoire s’épuise, un drôle de schéma-bilan est distribué à la fin de la performance pour entretenir l’étincelle.

Mais on se souviendra de toute façon qu’au siècle des Lumières, il suffisait qu’une œuvre de l’esprit reflète la personnalité unique de son auteur pour être considérée comme telle au regard du droit des créateurs. Avec la présence intelligente d’Antoine Defoort, détonnant d’humour et de simplicité, on accorde sans conteste cette qualité à sa création – qui dépasse de loin ce faible degré d’originalité permettant la protection de la propriété intellectuelle.

Vu au Centquatre-Paris. Réfléchit, fait des schémas et parle aux gens, Antoine Defoort. Alimente la réflexion et met en perspective, Julien Fournet. Anticipe et résout les problèmes techniques, Robin Mignot. Coordonne les choses et dispense des conseils, Mathilde Maillard. Fait les contrats, les déclarations et bien d’autres choses, Sarah Calvez. Photo © Belinda Annaloro.